Bienvenue l'indé (Welcome to the Rileys)

Jake Scott (fils de Ridley Scott) signe là une véritable perle du cinéma indépendant américain. Interprété avec brio par le parrain névrosé des Sopranos, James Gandolfini, Welcome to the Rileys est une comédie dramatique qui se joue des simulacres. Doug Riley (James Gandolfini), dépressif après la mort de sa fille, passe son temps entre sa maison, d’où sa femme (Melissa Leo) n’ose plus sortir, et ses déplacements professionnels. Lors de l’un d’eux, il fait la connaissance d’une jeune strip-teaseuse au langage corsé (Kristen Stewart), et s’attache à cette jeune personne. Une relation père-fille va se créer entre eux.
De prime abord, cette production des Frères Scott peut faire peur, mais c’est une véritable surprise qui s’offre dès les premières images. On aurait pu s’attendre à un film d’action, à l’instar des réalisations des autres membres de la famille, mais le jeune réalisateur a su prendre le contre-pied et réalise un film calme et emprunt de maturité. Pas d’effets outranciers, mais une caméra proche des corps, et une intensité dramatique sans tomber dans un effet « tire larmes ». Welcome to the Rileys met en scène la disparition d’un être cher huit, drame dont aucun membre de la famille n’a pu réellement se relever. L’arrivée d’un vilain petit canard, servant d’enfant de substitution, permet une forme de thérapie et de régénérescence de la cellule familiale.


C’est aussi une autre forme de régénérescence qu’offre le film, celle d’un acteur. Depuis la fin des Sopranos, James Gandolfini était très souvent cantonné à des seconds rôles. Rien ne semblait lui sourire après l’apogée qu’il a connu durant toute la longueur de cette série télévisée si emblématique. Welcome to the Rileys au contraire lui donne la chance de montrer une autre facette de ses talents de comédien. L’ensemble du film joue de la dualité entre le Tony-mafieux des Sopranos et le Doug-papa-gâteau. Mais ici le corps de Gandolfini est plus lourd, corpulent, et sa respiration omniprésente (un souffle au premier plan sonore qui finit par vampiriser tout l’espace) comme un acte de survie. Premier grand rôle sur grand écran pour Gandolfini et essai transformé par cet excellent acteur qui, maintenant on le sait, peut jouer autre chose qu’un mafieux sous prozac.

Jake Scott réussi avec ce film un pari ambitieux. Sa mise en scène, son approche des acteurs, son jeu pour les prendre à contre-pied fait de ce petit bijou indépendant un grand film porté par un excellent casting. Il est rare de voir un cinéaste américain réussir à filmer ses personnages sans surenchérir dans l’émotion avec vocabulaire technique trop prononcé. Cela traduit une vraie confiance dans chacun de ses représentants à l’image et une virtuosité dans le choix des cadres.
Pour beaucoup, le cinéma indépendant américain était mort et enterré. Sur les écrans, il n’était alors possible de voir que de pâles copies de films ayant fait les beaux jours du Festival de Sundance sans pour autant retrouver la hargne et la jeunesse des œuvres indépendantes US. On peut dire qu’avec Welcome to the Rileys, Jake Scott annonce une renaissance de ce cinéma avec l’espoir de revoir des films pour qui les idées et le style sont plus importants que les millions.

Welcome to the Rileys (sortie le 10 novembre 2010)
Un film de Jake Scott 
Avec Kristen Stewart, James Gandolfini, Melissa Leo,...

Simple détour (Le Dernier voyage de Tanya)

Sur l'idée simple d’un dernier voyage comme rite funéraire Aleksei Fedorchenko signe une oeuvre magnifique et inattendue.
Miron (Yuriy Tsurilo), aidé d’un ami, Aist (Igor Sergeyev), veut enterrer sa femme dans la tradition des Mérias, ancien peuple de la Russie ; brûler le corps et le rendre à l’eau fait partie de ces rites de passage entre la vie et le néant.

Par un dispositif simplissime, dans une voiture avec une conversation entre les deux amis à propos du couple et de la défunte, le cinéaste parvient à capter des instants de vie comme aucun autre réalisateur aujourd’hui. Avec des effets rudimentaires de panoramiques, on est invité à voyager avec les protagonistes entre passé et présent le tout mené par une voix-off à la Balzac, sortie d’outre-tombe, comme de l’hypnose.

Proche des meilleurs films de Kiarostami, Fedorchenko opte pour une sincérité de l'image comme l’on en a rarement vu. Le Dernier voyage de Tanya restera le plus beau film de cette fin d’année et une grande surprise


Le Dernier voyage de Tanya (sortie le 3 novembre 2010)
Réalisé par Aleksei Fedorchenko
Avec Igor Sergeyev, Yuriy Tsurilo

Sombres clichés (Des filles en noir)

Cliché du début à la fin, ce film ne donne pas seulement une mauvaise image de la jeunesse, c'est également un désastre cinématographique.
Jean-Paul Civeyrac tente avec Des filles en noir une certaine approche de la jeunesse. Pas celle en rose comme dans les séries américaines, non, celle aux habits noirs, aux idées noires, et aux tentatives de suicide. Ha, la jeunesse d’aujourd’hui ! Ses incompréhensions, ses attentes, ses envies, mais aussi son mal-être, le tout condensé en une fiction d'une heure trente filmée avec les pieds.

Noémie (Léa Tissier) et Priscilla (Elise Lhomeau) sont deux adolescentes gothiques mal dans leurs peaux et qui décident de se suicider. Civeyrac veut se plonger dans un microcosme mais ne parvient pas à franchir la porte de ce lieu. Il ne fait que succéder idées préconçues sur idées préconçues sans jamais obtenir une once de réalité. Même la forme de son film devient une insulte aux adolescents filmés tant la tâche semble lourde. Pas un plan n’est là pour rattraper l’autre et il n'y a aucune initiative technique qui relèverait les clichés débités.
Selon lui, tous les gothiques veulent se suicider et le plus souvent à cause d’une histoire de cœur (forcement!), et l’ami de la famille qui assiste au repas est logiquement un pervers alcoolisé qui va tenter de violer une des deux filles. 

En plus d'amalgames inopportuns Civeyrac surenchérit en effets de style inutiles, comme la montée d’un brouillard à la Fog pour mettre un petit quelque chose de fantastique dans le récit, ou encore Noémie en pleurs se tortillant sur un tapis le tout filmé en une plongée dramatique comme si le monde la regardait et la jugeait. Lourd !

Tout dans Des filles en noir sent le mauvais sens, ou plutôt la mauvaise blague du cinéma français.


Des filles en noir (sortie le 3 novembre)
Réalisé par Jean-Paul Civeyrac
avec Léa Tissier, Elise Lhomeau  

Petit Carles contre les "Grands" (Fin de concession)

Avant même sa sortie en salle, Fin de concession créait déjà le « buzz » (quel mot déplorable!). Des extraits diffusés sur la toile, ont été repris par certains journalistes qui, sans avoir vu le film, le critiquaient éhontément. Mais Pierre Carles semble rodé, les sujets qui dérangent sont sa passion.
Après s’être attaqué au monde du travail avec le prodigieux J’ai très mal au travail, Il revient aujourd'hui à ses premières amours, la critique des médias. Au début de sa carrière, chroniqueur virulent pour de nombreuses chaînes hertziennes françaises, ses attaques prenaient toujours en exemple les émissions de l’époque et mettaient bien souvent patrons de chaînes et présentateurs dans un grand embarras.

Pierre Carles a changé. Loin du petit chroniqueur aux chemises bariolées des années 90, il est devenu un grand documentariste qui n’hésite pas, depuis ses premiers films; à mettre des coups de pieds dans la fourmilière. Dans Fin de Concession, il s’attaque à un géant, TF1. Sorte de lutte entre David et Goliath puisque lui, armée de sa fronde et de sa petite équipe d’amis va tenter de mettre à terre le tout puissant. Le documentaire dénonce le renouvellement automatique de la concession hertzienne de la première chaîne détenu par Bouygues alors que celui-ci ne tient pas les promesses qui lui ont valu d'obtenir TF1. Avec sa très grande ironie et à coup d’images d’archives, le réalisateur montre comment, sous la tutelle d’un Bernard Tapie plus manager et manipulateur que jamais, et à de mensonges et de promesses à l’emporte pièce l’équipe Bouygues a réussi le plus grand hold-up du siècle.

Mais entre action et remise en question, Pierre Carles signe surtout un film Work in progress empreint de la peur de ne pas en faire assez, de vieillir, de ne plus être aussi cinglant. Au fil des interviews et des rencontres son animalité reprend le dessus face à des hauts dirigeants ou des journalistes de la chaîne. Mais pas seulement, puisque sa critique des médias le pousse aussi à s'interroger sur d'autres journalistes et notamment celui d'une chaine « publique » cette fois, David Pujadas. Dénoncé par de nombreux opposants pour son côté lèche-bottes et proche du pouvoir, le présentateur du journal de 20h de France 2 devient ainsi la nouvelle cible du réalisateur. Carles lui décernera d'ailleurs le prix du bouffon du roi avant de repeindre son scooter en doré le tout sous l’œil effaré de Pujadas.

Parfois tangent dans ses actions ou encore dans ses entretiens, Pierre Carles sait aussi se remettre en question. Et c'est toute la force du film. Moins un documentaire sur TF1, Fin de concession met en lumière la manière dont travaille le cinéaste, comment il obtient des entretiens, sous une fausse identité, avec culot. Une vraie bonne leçon pour les futurs documentaristes.

Fin de Concession (sortie le 27 octobre 2010)
Réalisé par Pierre Carles

Les pin-up au cinéma

Sexe et cinéma ont toujours fait bon ménage. C’est d’ailleurs lors de séances obscures que la plupart des cinéphiles découvraient leurs premiers émois pour le sexe opposé. Rien de tel que la nudité, la suggestion d'un décolleté, une tenue provocante, ou encore une jambe dépassant d’une robe fendue.

Les pin-up ont été une marque de fabrique des studios américains pour racoler (le terme et fort et je le sais) auprès d’un public masculin en demande. Le livre de Jullier et Boissonneau retrace, à partir de données et d’intuitions personnelles, un historique de ces femmes dans l’espace cinéphilique hollywoodien. Depuis les prémices de l’histoire du cinéma, les deux auteurs tentent de percer les milles et un secret qui ont fait de ces belles si particulières un rôle incontournable dans le cinéma.

Si l’on peut être d’accord avec nombre de leurs exemples, comme Jane Russel dans Le Banni ou encore Marilyn Monroe dans tous ses rôles. Il y a cependant un abus dans le vocabulaire. Pour les deux écrivains, il semblerait que toute femme ayant un rôle dans un film, et qui n’est pas celui de la femme forte, se trouve alors dans la position de la pin-up. C’est faire table rase d’une certaine histoire du cinéma qui a vu naître aussi les Vamps, les Bimbos et tant d'autres genre d'actrices sexy uniquement présentes pour servir le film.
Il ne faut pas oublier qu’avant toute chose, les pin-up étaient des filles sur papiers glacés (Gibson Girl) que l’on prenait en photo pour allécher les clients à l’entrée des bars. Jullier et Boissonneau rappellent tout de même que dans certains films comme les films de guerre, où les filles n’avaient pas de place, le réalisateur s’arrangeait toujours pour coller aux murs ces photos de pin-up découpées dans les magazines. Les soldats les arboraient alors comme des trophées qui leur rappelleraient le pays ou une carotte donnée aux troufions pour les envoyer se battre avec plus de courage. Exemple très concret dans les Douze Salopards de Robert Aldrich, où les personnages sont amenés en perm' dans un bar décoré de pin-up avant de partir en mission,.

Si le livre se voit comme une historiographie de la pin-up, il faut cependant le lire avec beaucoup de précautions quant aux intuitions lancées sur certains exemples (Pamela Anderson en rôle de pin-up plus que de bimbo). On peut aussi regretter le manque de recherche esthétique, il n’y a rien sur le plan de la forme, ni dans la façon de filmer la pin-up. Les pin-up au cinéma reste donc un livre à prendre avec beaucoup de recul.


Les pin-up au cinéma
Laurent Jullier, Mélanie Boissonneau, avec l’équipe de Monsieur Cinéma
Armand Colin
N° ISBN : 978-2-200-24856-7
15, 80 euros

Vénus Noire

Loin des clichés sur l’esclavage et le colonialisme, Abdellatif Kechiche signe encore une fois une œuvre forte et sans complaisance. Venus Noire retrace les dernières années de la « Venus Hottentote » de son vrai nom Saartjie Baartman (Yahima Torres). Elle se retrouve exhibée par ses patrons (André Jacobs, Olivier Gourmet) devant des publics voyeurs de ses formes (protubérance de ses fesses, mais aussi couleur de sa peau). Elle est présentée comme un animal que chaque personnages autour va ausculter ou encore toucher comme une bête de foire. La fameuse phrase d’ouverture : « Je n’ai jamais vu de tête humaine plus semblable à celle des singes » suggère déjà l’importance du regard et surtout du voyeurisme. Comme l’incipit d’Elephant Man de David Lynch, c’est sur la notion de différence et d’animalité que joue le réalisateur Kechiche.
Saartjie Baartman après avoir été exposée devant le public anglais, qui finira par la traduire devant les tribunaux pour insulte au peuple d’Afrique, quitte l’île pour venir dans les quartiers libertins de Paris. À partir de là rien ne va plus pour la jeune protagoniste. Ce n’est plus de danse ou encore de spectacle dont il est question, mais de prostitution. Elle doit montrer son anatomie et se faire toucher par les bourgeois afin de leur rendre leur plaisir.
Dur et langoureux voilà comment pourrait se traduire la deuxième partie du film, mais Kechiche offre des instants magiques. On soulignera la scène de la danse, qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler les dernières minutes du film La graine et le mulet du même cinéaste. Ici, ce n’est plus dans l’effort que le corps vit mais dans la transe, comme un exutoire, la vénus va danser jusqu’à n’en plus pouvoir pour essayer de sortir de ce cauchemar. Instant décisif et en même temps particulièrement beau et simple.

Comme dans ses précédents films, comme La faute à Voltaire ou encore L’Esquive, les jeux de langues ont encore une place importante. Mais ici ce n’est plus seulement la langue de Molière qui est étudiée, Venus Noire joue sur une mixité des langages. Les patrons passent de l’Africain à l’Anglais et au Français comme les adolescents de L’Esquive alternent langue de Marivaux et le vocabulaire des banlieues. Ce mélange des couches sonores, ce passage constant entre les différentes formes de communication est surtout mis en place par le manque de paroles de la vénus qui ne parle qu’africain et ne comprend pas les autres. C’est par le visage de l’actrice et surtout par son regard que le cinéaste va parvenir à une autre forme de communication, celle de l’instinct et des émotions.
Tout repose sur un jeu de regardant-regardé, quoi qu’il se passe dans le cadre, un personnage est toujours le centre des attentions. La science et l’étude du corps encadrent le film et renvoient à ce genre de dialogue. L’assemblée contemple un moulage de ce que fût la vénus, sans aucun intérêt pour l’être, mais s’attachant à l’animal qui se rapproche du singe.
Avec Vénus Noire, Kechiche parvient encore une fois à marquer. Le film est une transe qu’il faut laisser vagabonder dans nos esprits.


Vénus Noire (sortie le 27 octobre 2010)
Réalisé par Abdellatif Kechiche 

Avec Yahima Torres, André Jacobs, Olivier Gourmet 

L’Europe fait son cinéma (Festival Cinéssonne)

Du 8 au 23 Septembre, le 12e Festival du Cinéma Européen en Essonne a encore une fois apporté son flot de nouveautés. Projetés dans la plupart des cinémas de la région, les films voyagent de salle en salle pour le plaisir et la découverte d’un public toujours assidu.



La Compétition Officielle marque par un éclectisme percutant. Les douze films sélectionnés ont pour la plupart de réelles qualités. Le festival s’attache à promouvoir des films européens qui pour la majorité ne sont jamais projetés en dehors de leurs pays.


Les œuvres présentées en compétition ont souvent comme leitmotiv les frontières et un vrai point de vue sur l’Europe.
C’est le cas par exemple de la comédie roumaine Wedding in Basarabia de Nap Toader. Avec une idée simple, un mariage entre deux personnes de deux communautés différentes (Slovaque et Roumaine), le réalisateur tente de mettre en avant les conséquences de la chute de certaines barrières par l’humour et la fête.
Sur un autre genre de dénonciations, celle des difficultés économiques liées à l’Europe, Slovenian girl (Damjan Kosole) narre le parcours d’une jeune étudiante qui se prostitue afin de payer ses études. Elle profite de la présidence de la Slovénie au Parlement Européen pour accrocher des clients diplomates. Décevant sur son intention esthétique, le film ne parvient pas à rehausser par ses propos.
Le film autrichien Der Kameramörder (Robert Adrian Pejo) située entre l’Autriche et la Hongrie trace la recherche d’un tueur d’enfant dans une atmosphère étouffante à la Haneke sans toutefois parvenir à trouver une réelle justesse et donner un sens à tout ce suspense.
Shahada, film allemand de Burham Qurbani traite quant à lui des différentes cultures et religions dans un pays en plein essor. Premier long-métrage, il ne manque pas d’effets de style et d’une bonne mise en scène pour un film choral proche de Innaritu et son Babel. Le cinéaste ne parvient toutefois pas à s’extraire de cette référence, mais il faut reconnaître à son auteur une certaine aisance dans le rythme et dans le choix des cadrages.


Les autres films de la Compétition Officielle moins communs par leurs thèmes n’en restent pas moins des œuvres visuelles intéressantes.
Metropia de Tarik Saleh, seul film d’animation du programme, œuvre entre 1984  de George Orwell et un mélange d’images animées et de prises de vue réelles.
Un film Hongrois a particulièrement retenu l’attention lors de ce festival, Adrienn Pal d’Agnés Kocsis. L’histoire d’une jeune infirmière un peu forte, qui travaille dans les soins palliatifs d’un hôpital, en quête de son amie d’enfance. Ce film émouvant et parfois dur par sa longueur (2h16) capte pourtant l’attention par l’élaboration scénique de la cinéaste. Sans complaisance avec son personnage, les plans qu’elle soumet sont dignes des très grands films sur le désoeuvrement et la recherche du « Soi ». Par son enquête sur son enfance, la protagoniste va se perdre dans les méandres de la ville qui la rejette toujours.


Le festival Cinéssonne aura surtout marqué cette année par l’arrivée de véritables perles cinématographique.
Le dernier voyage de Tanya (Aleksei Fedorchenko) est resté très présent dans les esprits après sa projection. Ce voyage dans le rituel mortuaire d’une Russie campagnarde a surtout inspiré par sa mise en scène digne de la distanciation des plus grands films d’Abbas Kiarostami. Ce film donne une idée de la campagne oubliée russe et de ses cultures. Se laisser transporter par ce film est un véritable plaisir visuel.
Le Quattro Volte, poème visuel italien de Michelangelo Frammartino, restera comme La découverte du festival, une véritable claque cinématographique. Rarement dans le cinéma, il aura été donné de voir autant de propositions tant visuelles qu’auditives. Ce film muet, filmé dans un village montagneux d’Italie laisse au spectateur le plaisir de vagabonder dans son esprit. Ce pur plaisir contemplatif relève d’une véritable jouissance de la vue. Proche des photographies d’Henri Cartier-Bresson avec ces perpendiculaires et son instant décisif. Le cinéaste semble capter des instants de vie dans un petit village oublié de tous les problèmes. Véritable transe audio-visuelle ce film ne laissera personne sans émotions qu’elles soient bonnes ou mauvaises.


Étrangement, les films français n’ont pas été à la fête lors de cette édition.
Des filles en noires de Jean-Paul Civeyrac, cherche à comprendre le malaise de deux adolescentes gothiques en proie à un désir de mort. Par son abondance de clichés, le film perd de son intérêt dès les premières minutes. On pense plus à la mauvaise image donnée à une jeunesse en marge, qu’aux propos mêmes du récit. Le cinéaste dépeint un certain groupe social en le regardant de haut sans parvenir à le comprendre.
Le même reproche peut être fait à Memory Lane de Mikhaël Hers. Son portrait d’un groupe d’adolescents se retrouvant pour les vacances d’été dans la ville de leur enfance paraît tout droit sorti des idées préconçues sur la jeunesse aujourd’hui dans ses goûts musicaux, sur l’amour ou encore les relations. La mise en scène, par la surabondance d’effets, allant du travelling qui ne sert à rien sur des arbres au ralenti plus que rebutant pendant une soirée, met le spectateur mal à l’aise. Il se perd dans les méandres d’un voyeurisme malsain avec une séquence érotique très longue et très crue. Du voyeurisme à l’abjection, il n’y a qu’un pas et Hers, malheureusement, y est tombé dedans des deux pieds.
Géraldine Bajard quant à elle essaie avec La Lisière de s’engouffrer dans le cinéma fantastique.  Un jeune médecin arrive dans une nouvelle ville et va être pris à partie par les jeunes, qui, comme une meute, ne parviennent pas à vivre les uns sans les autres. Ce film inspiré du Village des damnés de John Carpenter n’arrive pas à tendre vers l’horreur de l’animalité enfantine.
Mais il n’y a pas que les Français qui ratent leur coup. Mardi après Noël, du Roumain Radu Muntean, raconte une rupture douloureuse après une infidélité et ne réussit pas à se dégager de son opiniâtreté classique. Ce film ne laisse aucun arrière-goût tant il manque d’inventivité et de modernité sur les rapports humains.


Quoi qu’il en soit, le Festival du Film Européen en Essonne aura encore une fois marqué par son choix d’œuvres innovantes tout cela agrémenté de rétrospectives et d’invités d’honneurs tels que Volker Schlöndorff, Jean-Claude Carrière, ou encore Olivier Assayas qui venait présenter Carlos, ou encore Mathieu Amalric venu faire une conversation avec les frères Larrieu… Bien d’autres rencontres et manifestations ont fait de ce festival un lieu de transmission et de débats où les films passent les frontières sans craindre de rester bloquer en douanes. Cela fait maintenant plus de dix ans que le festival offre un nouveau regard sur le vieux continent, il ne reste plus qu’à lui espérer tout autant pour les décennies à venir. 

Un documentaire métaphysique et transcendant (Les rêves dansants, sur les pas de Pina Bausch)

Peu de temps avant sa mort, la chorégraphe Pina Bausch décide de reprendre sa pièce la plus connue, Konktakthof, sans sa troupe officielle mais avec des adolescents n’ayant jamais dansé. Anne Linsel et Rainer Hoffman, intrigués par le projet, suivent cette « star academy » pas comme les autres.

Ils offrent un documentaire hors du commun sur le monde de la danse et de l’adolescence. Des jeunes vont apprendre à danser mais aussi et surtout à découvrir leur corps. Car s’il y a bien une chose que met en avant ce film, c’est la découverte de soi par la danse. Si le cinéma ou la vidéo donnent une idée du corps, permettent de se rendre compte de sa représentation, la danse, quant à elle, en serait l’opposé par la construction de cette conscience dans la sensation. Les ados, au début mal à l’aise dans les mouvements, découvrent petit à petit toutes les particules qui font leur enveloppe. C’est avec la découverte de leur anatomie que la danse et la troupe vont prendre forme et devenir un personnage différent.

Les deux réalisateurs dans un soucis de réalisme s’effacent. La caméra semble cachée, elle ne gêne jamais les mouvements ou les émotions des adolescents. Par cette mise à distance du cinéma et de son dispositif, c’est tout l’attrait du film qui prend forme. On n’est plus dans une mise en perspective de la chorégraphie de Pina Bausch, mais dans la découverte d’artistes et de leur apprentissage. Il est hallucinant de voir dès les premières images l’aura de certains de ces jeunes danseurs. Les cinéastes captent la naissance de ce qui pourrait devenir de grand artiste, comme la jeune fille blonde timide qui finalement, par son incroyable présence physique, deviendra le rôle-titre de la pièce et du film.

Les Rêves dansants n’est pas seulement un documentaire sur la danse, c’est aussi une vision de la jeunesse allemande, de ses origines, ses sentiments et ses rêves. À travers des entretiens avec les adolescents, qui ponctuent leur apprentissage, les réalisateurs tentent d’en savoir plus sur eux et leurs motivations. À travers cette série de portraits, les jeunes peuvent s’exprimer, par la parole cette fois, sur tout et rien. Ces petites incursions permettent de comprendre que leur passé, leurs histoires les nourrissent pour exprimer au mieux les gestes de la chorégraphie. Ainsi, la perte d’un père se transforme en un mouvement du corps.

Le documentaire offre un véritable panel de visage et d’individus qui vont se confronter tout au long du film et finir par former une troupe à la fois filmique et scénique. Les derniers plans sur la scénographe Pina Bausch offrant des fleurs à ces nouveaux artistes clôture ce film dans un élan d’émotions. Dernières images avant la mort de ce génie de la danse qui donne son héritage à une jeunesse prometteuse.


Les Rêves dansants, sur les pas de Pina Bausch (sortie le 13 octobre 2010)
Un film de Anne Linsel et Rainer Hoffman


Instantané d’une époque (La Vie au ranch)

Après avoir écumé de nombreux festivals, le premier long métrage de Sophie Letourneur qui fait déjà tant parlé de lui, arrive sur les écrans. La Vie au ranch raconte l’histoire d’un groupe de jeunes étudiantes et colocataires qui aiment faire la fête et profiter de leur indépendance. Irascibles, têtes à claques, amusantes, émouvantes, ces filles si proches de la réalité nous baladent d’émotions en émotions.
Pour son casting, Letourneur a choisi le groupe bien avant l’individu. Déjà amies dans la vie, les filles se livrent, à la fois proches les unes des autres et si éloignées de toute individualité.
Avec ses précédents courts-métrages, la jeune réalisatrice abordait la fin d’une époque de la vie et le commencement d’une autre. La Vie au ranch ne déroge pas à la règle. Il montre à travers ces visages la transition entre la « post-adolescence », la fin du monde rêveurs, et l’entrée dans l’âge l’adulte et sa prise de décision individuelle.
Le film de Sophie Letourneur est d’ailleurs dirigé comme un voyage initiatique. À l’instar des contes, ses personnages quittent le doux foyer « ranch » pour l’avenir. Après Paris, c’est à la campagne que les filles passent ensemble leurs vacances. Aux milieux clos et branchés de la Capitale succèdent les espaces ouverts et libres où il est possible de respirer sans prendre l’air. Mais c’est dans ces grands espaces que les disputes vont éclater, que les individualités vont se révéler, émerger, et ainsi prendre part à la vie réelle, loin de celle, fictive, créée par une communauté.

Et le film exploite joyeusement cette mise en scène. Tout d’abord caméra épaule, mobile et déstructurée, elle va, lors du voyage en campagne, se poser et plonger les personnages dans une intimité presque palpable. Le son est aussi la grande force du film. Travaillé, amplifié, rajouté, l’apport des sources sonores est multiple et peut parfois saturer l’écoute. Les filles, par leur flot constant de paroles qui se chevauchent, se croisent, étouffent la force du groupe dans une cacophonie constante. Letourneur met ici en image une parabole de discussion passionnelle, mais où finalement tout le monde parle et personne n’écoute. Il n’est plus question de communiquer mais d’exister par la parole, le son, faire sentir sa présence au monde ou au cinéma.


La forme du récit mélangé à celle de la mise en scène répond au propos sur le voyage initiatique de Sophie Letourneur. La Vie au ranch relève plus de la fable et du conte que du pamphlet sur une étude sociologique du groupe. La réalisatrice dresse le portrait de jeunes filles en quête de leur propre identité, à qui il manque peut-être un soulier de verre. Ce n’est plus le prince charmant qui délivrerait les jeunes demoiselles, mais l’espoir d’une prise de position individuelle.
Sophie Letourneur, avec sensibilité et grâce, tire les instantanés d’une jeunesse et capte des instants de vie comme de rares jeunes réalisateurs.

La Vie au Ranch (sortie le 13 octobre 2010)
Un film de Sophie Letourneur
Avec Sarah Jane Sauvegrain, Mahault Mollaret, Eulalie Juster…

Copiste ou essayiste (Petit tailleur)

Pour sa seconde incursion dans le monde du court-métrage, Louis Garrel cherche à mettre en lumière les doutes et les différentes personnalités des comédiens. Le réalisateur s’interroge sur les émotions humaines, la tricherie et le mensonge, ou encore la schizophrénie. Mais ce n’est pas sans mal qu’il parvient à faire tenir son scénario alambiqué.

Albert (Arthur Igual) est un tailleur romantique qui passe son temps à courir pour ne pas être en retard au travail ou pour ne pas rater la pièce de théâtre dans laquelle joue Marie-Julie (magnifiquement interprétée par Léa Seydoux) et dont il est éperdument amoureux. S’ensuivent des conversations sur l’amour, les comédiens et la fuite.

Dans ce nouveau film Garrel traite des difficultés émotionnelles qui semblent aujourd’hui naître dans le cinéma français avec Christophe Honoré par exemple. Tout comme le réalisateur des Chansons d’amour, Garrel est proche de la nouvelle vague et utilise le ton de celle-ci pour parsemer son film de citations parfois illusoires.


Louis est bien « le fils de son père ». L’utilisation du noir et blanc, mais aussi des portraits découpés comme des peintures de Caravage ne sont pas sans rappeler les œuvres si puissantes de Philippe Garrel.  On en vient même à se demander si le paternel ne passait pas de temps en temps sur le tournage afin de promulguer des conseils avisés à son fils. Il est toujours dur pour un « fils de » de se démarquer de l’influence d’un héritage stylistique. Et si cet emprunt au cinéma de son père peut se révéler comme un défaut, il faut cependant reconnaître que Louis Garrel possède de nombreux atouts et en particuliers dans la direction d’acteurs.

Petit Tailleur est un moyen-métrage à voir comme un possible héritage de la famille Garrel avec un petit plus du côté des comédiens.

Petit tailleur (sortie le 6 octobre 2010)
Réalisé par Louis Garrel
Avec Arthur Igual, Léa Seydoux, Grand Albert…

Le corps d’un père, l’âme d’un pays (Un homme qui crie)

Un film simple marqué d’une émotion hors du commun. Lors de sa sélection au festival de Cannes Un homme qui crie du réalisateur Tchadien Mahamat Saleh Haroun faisait déjà parler de lui. Cela faisait plusieurs dizaines d’années qu’un film africain n’avait pas été admis dans le cercle très prisé de la Compétition Cannoise. De plus auréolé d’un Prix Spécial du Jury, le film n’a pas quitté le festival sans laisser son empreinte.

Adam ancien champion de natation est maître nageur dans un grand hôtel récemment acheté par un groupe chinois. Mais il est remplacé par son fils. Il se retrouve déclassé socialement et occupe la fonction de garde-barrière. En parallèle, une nouvelle guerre éclate dans le pays et l’armée a besoin d’argent et d’hommes. Pour se venger de son fils, Adam décide de le donner à l’armée, une coutume très répandue au Tchad lorsqu’un père ne peut payer l’effort de guerre.


Comme chez Ozu, avec son très beau Il était un père (1942), Haroun s’arrête sur les relations père/fils. La justesse de ton et d’image du cinéaste n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle de son acolyte asiatique. Tout comme leur travail du hors champs ou encore les plans au ras du sol.
Sans Plagiat, Haroun crée, comme chez le cinéaste Japonais ou encore même chez l’Iranien Kiarostami, une bonne distance entre le récit et la mise en scène. Dans Un homme qui crie, il n’est pas question de marteler un dispositif émotionnel à coup de gros plans ou encore de changements de cadre. Il s’agit de donner une raison à un geste.


Dans une parenthèse théologique, Haroun s’intéresse ici à la faute et au pardon des pères. On en vient même à se demander si le film n’est pas non plus une prière au Père tout puissant quant aux innombrables enfants soldats qui enrichissent les milices tchadiennes.
Le cinéaste chercherait presque à expier les blessures de la guerre, voire à les purifier par l’importance de l’eau dans son film, que cela soit avec la piscine sur laquelle s’ouvre le film, ou encore le lac en fin de film. Cet élément tient une place non négligeable dans Un homme qui crie, toujours calme et paisible il apporte une sérénité aux personnages.
Loin du pathos, et grâce à la distance scénique Haroun se sort de tous les clichés attendus. Ses placements de caméra nous emmènent loin de toute quête de larme ou encore de la mythification d’un pays. Les rares gros plans expriment ou renforcent une idée. Lorsque la copine du fils enceinte chante pour lui et enregistre sur une K7 un message, on retrouve alors toute la force de ce réalisateur qui sait jouer avec les codes du cinéma afin de parvenir à une extrême douceur dans son propos et ses images.

Haroun signe une œuvre inoubliable. Et le génie de ce réalisateur est de savoir transmettre, à travers l’histoire d’un homme, toute l’âme d’un pays meurtri.


Un homme qui crie (sortie le 29 septembre 2010)
de Mahamat Saleh Haroun
avec Youssouf Djaoro, Diouc Koma

Bi-movie (Les amours imaginaires)

Une œuvre magistrale digne des films de James Dean et d’Audrey Hepburn. Le deuxième film de Xavier Dolan (après J’ai tué ma mère en 2009) a encore une fois montré toute la force et l’énergie de ce jeune cinéaste en herbe. Les amours imaginaires narre l’histoire de deux amis Francis (Xavier Dolan) et Marie (Monia Chokri) qui tombent tous deux amoureux du même garçon, Nicolas (Niels Shneider). Se crée alors une sorte de dualité pour obtenir les faveurs du jeune garçon. Le réalisateur canadien suit le parcours de trois post-adolescent en quête d’une relation. Il cherche à comprendre la jeunesse d’aujourd’hui en créant une relation triangulaire à la Jules et Jim.
Clin d’œil ou réappropriation, Dolan voyage à travers tout un univers cinématographique et en parcourt l'histoire. Les effets de ralenti sur Marie marchant dans la rue et se finissant sur ses fesses, ponctués de Bang Bang de Dalida fait inexorablement penser aux films de Wong Kar Wai. Le jeune cinéaste rend aussi hommage à des icônes visuelles et musicales. Les deux protagonistes semblent tout droit sortis d’un film des années 50 avec leurs coupes de cheveux et leurs façons de s’habiller.
Si Dolan film à la manière de, il arrive à imprégner son film de sa propre personnalité. Les dialogues oscillent entre l’humour et l’émouvant. Mais, et là il faut souligner le coup de génie de ce réalisateur, il n’hésite pas à ponctuer ses scènes les plus dramatiques par des séquences documentaires dans lesquelles il interroge des gens sur leur relation, la sexualité, la rupture, dans une forme des plus amusantes et des plus crûe.


Les amours imaginaires transposent le fantasme vers sa destinée la plus pure : la sensation. Les images magnifiques de ce jeune réalisateur transcendent par leur poésie. Lors des scènes de sexe il insuffle une sensualité érotique. Les ralentis sur des parties de corps, la peau toujours filmée en gros plans, le tout mélangé à une musique douce et sensuelle provoque un renouveau de signification dans le vocabulaire cinématographique. Oui bien sûr, on sait que depuis Griffith, le gros plan sert à suggérer une émotion, à la faire transparaître. Mais Dolan va plus loin puisque les couleurs de l’image indiquent presque des rêveries nocturnes, érotiques, relayées par ses personnages. Nappée de bleu ou de vert, la séquence n’appartient plus réellement au film, mais elle devient une œuvre à part entière sur la sensualité du cinéma. Ici, il ne s’agit plus seulement de regarder, mais de ressentir par l’image et par le son la magnificence d’une caresse visuelle.

Dolan avec Les amours imaginaires dresse un portrait de la jeunesse à la recherche d’un temps perdu, d’une sensation perdue et il le fait avec un véritable brio.

Les amours imaginaires (sortie le 29 septembre 2010)
Réalisé par Xavier Dolan 

Avec Monia Chokri, Niels Schneider, Xavier Dolan

Judd Apatow / Comédie, mode d’emploi - entretien avec Emmanuel Burdeau


Les éditions Capricci sortent un nouveau livre d’entretiens toujours aussi passionnants sur l’histoire du cinéma contemporain.
Dans la carrière de Judd Apatow, il ne manquait peut-être que ce livre pour parvenir à la reconnaissance de l’intelligentsia du cinéma. L’ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, Emmanuel Burdeau, revient dans ce long entretien sur la carrière de cet auteur incontournable de la comédie US. Ce livre est l’occasion de revenir sur l’œuvre de ce précurseur de l’humour et de comprendre un certain univers américain avec les séries comme la géniale Freaks and Geeks et la découverte des acteurs et de leur potentiel. Apatow revient également sur la construction d’un film comique et son évolution dans les méandres des studios hollywoodien.

L’entretien se ponctue sur la vie et les rencontres du jeune réalisateur, notamment avec Ben Stiller qui l’a initié à la télévision avec le Ben Stiller Show et surtout les atouts de tous les comédiens qu’a pu rencontrer ce producteur-réalisateur lors de ses films et de ses écritures. L’entretien s’attarde notamment sur les réalisations et les tics de langage que peut utiliser Apatow, mais aussi sur sa manière de travailler au sein d’une équipe et avec elle.

Celui par qui la comédie moderne ne peut exister méritait bien ce livre que l’on dévore avec enthousiasme.


Judd Apatow, Comédie, mode d’emploi entretien avec Emmanuel Burdeau
Éditions Capricci
ISBN 978-2-918040-13-2
13 euros 

Clint Eastwood, une légende

Patrick McGilligan surfe sur la tendance. Depuis les années 90 l’intérêt des écrivains et des journalistes pour Clint Eastwood n’a fait que s’accroître. Il suffit de tape le nom du cinéaste américain dans la rubrique livre de n’importe quel moteur de recherche pour s’apercevoir de la profusion d’œuvres (plus ou moins bonnes) sur son travail et sa vie.

Une expérience "people". Ici, l’auteur prend à contre-pied la biographie autorisée du cinéaste (Clint Eastwood de Richard Schickel). Il offre ainsi une antithèse de la légende forgée au long des années par les attachés de presse du cinéaste et parfois par lui-même lors de ses interviews. Loin du  cinéma, McGilligan le dépeint en homme colérique, coureur de femmes, radin… Le livre analyse non pas l’œuvre de l’auteur-cinéaste, mais sa vie, sa personnalité.
McGilligan essaye de convaincre du mauvais fond du réalisateur et de l’idiocratie qu’il a mis en place avec sa société de production Malpaso. Le livre contient plus de données sur les activités immobilières du cinéaste que sur l’intérêt que celui-ci porte au cinéma.

Reste certains points forts dans ce livre. McGilligan par les relations de Eastwood avec les studios comme la Warner Bros. (au sein de laquelle sa société de production indépendante Malpaso est intégrée) souligne les liens entre les différentes souches d’un studio et la construction d’un film depuis sa genèse jusqu’à sa divulgation sur les écrans.
Si par moment cela enrichit l’œuvre, on regrette toutefois le manque d’intérêt porté au septième art et aux films d’Eastwood qui font de lui un artiste à part entière.


Clint Eastwood, une légende
Patrick McGilligan
Nouveau monde éditions
N° isbn : 978-2-84736-396-8
24 euros

Désopilante réunification (Cyrus)

Les comédies américaines ont encore de beaux jours devant elles. Cyrus ne laisse personne indifférent. Marrant, touchant, intriguant voilà comment pourrait se définir le nouveau film des frères Duplass (Jay et Mark).

John (John C. Reilly) célibataire endurcit depuis son divorce, finit par rencontrer lors d’une fête Molly (Marisa Tomei) jeune femme dynamique et enthousiaste. Cependant celle-ci cache un secret, un fils de vingt ans, Cyrus (Jonah Hill), qui vit toujours avec elle. Les deux hommes vont alors être en perpétuelle confrontation pour l’amour, charnel ou maternel, de la jeune femme. Une vraie guerre va être déclarée.


Cyrus est un Tanguy à l’Américaine, les jeux de mots et les blagues cocasses en plus. Le film est l’histoire de ce jeune garçon qui ne parvient pas à sortir de l’adolescence et des jupons de sa mère, jusqu’à l’entrée d’un élément perturbateur (John) qui vient s’immiscer dans le cercle clos de la famille. Les frères Duplass, avec cette comédie, mènent l’étude d’un nouveau genre ethnique, la recomposition d’une famille et surtout l’acceptation d’un nouveau membre. Ils s’attardant sur la propension à quitter le nid pour voler de ses propres ailes. Cyrus n’y parvient pas, et sa routine est accablante du petit-déjeuner au dîner.

L’humour de ce film ne joue pas tant sur les frasques du post-adolescent en mal d’amour, mais sur cette rencontre de deux êtres que tout rassemble. John et Cyrus ont bien des points communs. Tous deux travaillent dans l’art, le premier est monteur alors que l’autre essaie de percer dans la musique. Ils ont tous les deux du mal à se séparer de la femme de leur passé, la mère pour le plus jeune, ou encore de l’ex-femme qui devient la meilleure amie pour John. Et c’est cette peur de voir plus loin qui rend ce film attachant.


Les Duplass se rapprochent de l’équipe Apatow. L’humour ne joue plus tellement sur la « potacherie », mais sur le pathétique. Il s’agit de rire d’une situation, non pas pour se moquer, mais au contraire parce que la situation présentée peut arriver à tous.
John veut partager des moments avec son nouveau fils et comprend que cela lui sera impossible, puisque ce dernier est comme un microbe qu’il faut éradiquer avant la gangrène. Jonah Hill, par son interprétation, porte son rôle de gamin-geek-perturbateur-de-couple au summum. Il impose, avec sa carrure et son visage enfantin, un air malsain digne des plus grands films d’horreurs.

Cyrus est plein d’enthousiasme et de promesses quant à l’avenir des comédies et de leur renouveau. Les Lewis et autres grands comiques peuvent voir la nouvelle génération héritière de leur comédie, digne de leur passation.

Cyrus (sortie le 15 septembre 2010)
Réalisé par Jay et Mark Duplass
Avec John C. Reilly, Jonah Hill, Marisa Tomei…

Produit de contrefaçon (Une Chinoise)

Comme un film ethnographique, le nouveau film de Guo Xiaolu tente une immersion dans la jeunesse chinoise et son désœuvrement.
Mei (Huang Lu) est une jeune chinoise de la campagne qui passe son temps entre son travail au billard et les sorties avec les garçons dans la ville la plus proche. Elle décide de tout quitter pour tenter sa chance à la ville. Mais cette fuite ne se fera que de déception en disgrasse.
D’abord prostituée dans un salon de coiffure, elle noue une relation avec le caïd du quartier Spikey (Wei Yibo) qui se fait tuer. Avec son argent afin elle quitte le pays. Arrivée à Londres, elle enchaîne les petits boulots (mannequin pour cours d’anatomie, masseuse), et rencontre Monsieur Hunt (Geoffrey Hutchings) qu’elle épouse pour sa condition. Mais rien ne la comble et elle fini dans les bras du livreur Rachid (Chris Ryman) qui l'abandonne finalement pour retourner en Inde, son pays, alors que celle-ci est enceinte de lui.

Le scénario fortement centré sur le personnage de Mei tente de mettre en exergue la jeunesse des jeunes filles de la campagne chinoise. Celles-ci ne vivant que dans l’utopie d'un avenir meilleur par le départ vers une grande ville. Mei va même plus loin puisque qu’elle franchit les barrières de son propre pays pour vivre son rêve. Loin de la noirceur de son quotidien, elle espère des lendemains qui chantent et met tout en place pour arriver à ses fins.
Mais la seule chose qu’elle possède vraiment c'est son corps. Elle devient alors un produit « made in china » importé pour combler les fantasmes masculins. Son rêve d’évasion sera finalement un cauchemar.

Guo Xiaolu, plus connus pour ses documentaires comme Once Upon a Time Proletarian (2008) ou encore How is Your Fish Today ? (2006), garde pour cette fiction un style nerveux, caméra épaule et surtout utilise la lumière naturelle qui retransmet parfaitement les vicissitudes de la campagnes chinoises.
Il y a dans cette œuvre un regard neuf sur la jeunesse désœuvrée d’un pays. Comme pouvait le faire Jean Rouch à son époque avec Moi, un noir (d'ailleurs, le titre original She, a chinese est en référence directe à l’ethnographe). Comme le Français, Xiaolu pose un regard sur la société chinoise, mais aussi sur la mondialisation et le déclin d’une civilisation. Dans Une Chinoise, même le corps devient un produit comme les autres que l’on achète ou que l’on vend afin de survivre.
La seconde partie du film, en Angleterre repose sur ce principe d’échanges entre la protagoniste et un vieux Monsieur qui l’épouse afin de ne pas être seule. Elle devient une marchandise parmi tant d’autres. Utile à combler la solitude ou encore les fantasmes asiatiques du genre de l’Empire des sens pour le jeune Rachid.

Un petit bémol, cependant, dans la construction narrative du film. Écrivain de formation, Xiaolu a gardé des "tares" de sa première passion, les voyages incessants de son personnage sont ponctués d’intertitres. Ce dispositif, comme les chapitres d'un roman ou un journal intime, tend parfois à la sur explication de son histoire et perturbe l'auditoire.
Hormis cette petite transgression entre les deux arts, le film Une Chinoise reste un solide document sur la jeunesse chinoise et son empreinte qu'elle laisse dans le temps.

Une Chinoise (Sortie le 8 septembre 2010)
Un film de Guo Xiaolu
Avec Huang Lu, Wei Yibo, Geoffrey Hutchings, Chris Ryman,…

Une pure méditation cinéphilique (Des hommes et des dieux)

On a souvent rapproché le cinéma et la foi. Tous les deux portent un seul et même principe, celui de « la croyance ». L’un veut faire croire le réel dans une histoire fictive et l’autre cherche à convaincre en un homme supérieur qui prédomine les événements. Le nouveau film de Xavier Beauvois joue de ses deux formes de foi et les transporte à leur paroxysme.

Dans un monastère de Tibhirine, des moines cisterciens vivent en parfaite harmonie avec la population locale. Mais la menace grandissante des groupes islamistes du Maghreb des années 1990 les oblige chacun à renouveler leur foi et se questionner jour après jour pour savoir s’ils doivent partir ou rester afin d’accomplir leur mission au sein de la vie locale. Basé sur une histoire vraie ce récit s’inspire librement de la vie de ces hommes d’église dans une période de trois ans allant de 1993 à 1996, c’est-à-dire jusqu’à leur enlèvement.


Des hommes et des dieux mérite son Grand Prix du Festival de Cannes 2010. Tant par sa mise en scène que par son brio narratif, Beauvois transpose la méditation ecclésiastique en méditation cinéphilique tout cela nappé dans une atmosphère monastique de bougie et de vitraux.
Le film nimbé d’un certain mysticisme semble se rapprocher du Ordet de Dreyer où chacun met sa foi à rude épreuve afin de comprendre les vicissitudes de la vie et des actions qui se déroulent autour. Comme le dit Frère Christian (Lambert Wilson), un monastère est un endroit de paix et de prière. Le film de Beauvois se trouve aussi être comme ce lieu, celui où la foi (aussi bien du cinéma que de la religion) semble à chaque instant remise en question. Les moines s’interrogent sur la place de Dieu dans notre société et se demandent s’ils doivent rester par amour de leur croyance et mourir pour elle. Et le réalisateur s’interroge sur la place du septième art et sur la docu-fiction, qui lui est si chère (il a largement excellé dans ce style avec Le Petit lieutenant).
Qui aurait pu croire qu’un film sur la vie monacale puisse défrayer la croisette au point de lui décerner une récompense. Personne. Mais tout le talent du réalisateur est de savoir allier plasticité et prière, mouvement et fixité, et de rentrer dans cette vie recluse avec un profond respect.



Toute la force du film réside d’ailleurs dans cet accomplissement de soi. Chacun des moines se raconte, s’explique sur sa foi. Ils deviennent, au fil des discussions et des remises en questions, des hommes à part entière emprunts d’une force émotionnelle encore rarement exploitée par le cinéma.
La quintessence de ce dispositif se retrouve d’ailleurs dans l’une des dernières séquences, que l’on pourrait appeler le dernier repas (métaphore de la Cène). D’habitude moment calme et bercé par la lecture des Saintes Evangiles par le Frère Luc (Michael Lonsdale), ce dernier va perturber cet instant saint en insérant une cassette du Lac des Cygnes dans un lecteur et en servant du vin à tous les convives. Contaminés par la tristesse de ce morceau classique, et surtout mis en image avec une subtilité ahurissante (l’évolution du cadre allant du gros plan au très gros plan sur les yeux des personnages qui crée une émotion très forte dans notre conscience), on pourrait se surprendre, tout comme les personnages, à embuer notre regard transporté par cette image d’hommes au service de leur foi.

Avec ce film, Xavier Beauvois signe encore une fois un chef d’œuvre du docu-fiction, maîtrisé de main de maître. Et il est enfin possible de dire que non le cinéma français n’est pas mort. Amen !


Des hommes et des dieux (sortie le 8 septembre 2010)
un film de Xavier Beauvois
avec Lambert Wilson, Michael Lonsdale

Bête et méchant ! (Be Bad)

Sois méchant, mais tais toi ! Cette phrase pourrait être la punch line du film tellement celui ci est décevant. 
On attendait beaucoup de ce nouveau film avec Michael Cera, formidable acteur découvert dans Supergrave, et qui a l’époque faisait mourir de rire par son physique et surtout par son côté décalé, hors norme, face à la jeunesse américaine contemporaine. Même si rien ne peut-être reprocher à l’acteur, on regrette le manque d’imagination du réalisateur Miguel Arteta, plus connu dans le monde des séries (il a notamment réalisé des épisodes de Ugly Betty ou encore de la tordante et trop courte série Freaks and Geeks).

Pour son entrée dans le septième art, Arteta choisi d’adapter au cinéma le roman Youth in revolt : The journals of Nick Twisp de C.D. Payne. L’histoire d’un adolescent à part, Nick (Michael Cera), qui regarde des films de Fellini, écoute du Franck Sinatra… Bref un ado hors de son époque, avec peu d’amis (si ce n’est un mec suicidaire). Pendant les vacances, il s’éprend d’une jeune femme Sheeni Saunders (Portia Doubleday). Pour ne pas être séparés par la rentrée scolaire, les deux tourtereaux imaginent un plan diabolique : Nick doit se débrouiller pour que sa mère l’envoie vivre chez son père, près de sa dulcinée. Pour arriver à ses fins, le jeune homme devient méchant et se crée un double, Henry Dillinger (en référence à au célèbre gangster américain John Dillinger). Celui-ci lui permet d’accomplir les actes les plus odieux.

Sans innovation, Arteta reprend l’un des thèmes les plus exploité par le cinéma : la dualité.
Le cas Jekill a toujours collaboré à la naissance des scénarios les plus farfelus, Fight Club (David Fincher, 1999) par exemple joue sur ce principe avec brio. Dans Be Bad, cette métamorphose n’est ni plus ni moins que la projection du fantasme de Nick. Henry, petit pantalon blanc, arbore une moustache parfaitement dessinée, la coiffure impeccable et la cigarette au bec (bref, la caricature d’un français).
Totalement improbables, les moments où lui et son double se retrouvent dans le même plan sont pour le moins indigestes. L’éventualité d’un double assis à côté du protagoniste ne rend en rien le film comique, mais au contraire risible, voire abscons. En effet, montrer Henry, en présence de Nick crée le trouble. Non seulement la plupart des scènes tombent alors à l’eau, mais il est bien souvent difficile de comprendre l’apport de ce personnage dans la trame narrative.

Hormis ce défaut, il faut reconnaître tout de même à Arteta la qualité de direction d’acteurs. Mis à part Michael Cera, Steve Belusci est hilarant en père chômeur et désabusé. Mais finalement tous les acteurs ne feront du film qu’une bonne petite comédie un peu loufoque que l’on oublie vite après la séance.




Ne reste plus qu’à espérer pour Michael Cera un bien meilleur prestige avec le très attendu Scott Pilgrim contre le reste du monde normalement sur les écrans en décembre 2010. 




Be Bad (sortie le 1er septembre 2010)
un film de Miguel Arteta 

avec Michael Cera, Portia Doubleday, Jean Smart…

Leçons de cinéma (l’intégrale)


Une nouvelle édition des Leçons de cinéma Laurent Tirard est disponible à la vente. Celle-ci comprend les deux volumes qui existaient au préalable. L’auteur, ancien journaliste de Studio magazine, regroupe ici la chronique mensuelle qu’il menait à l’époque et qui consistait à poser une série de questions à ses cinéastes de prédilections. Cette nouvelle édition donne la possibilité de relire toutes les interviews dans l’ordre que l’on veut et non plus de suivre celui établit par l’éditeur.


Ce livre est fait pour tous les passionnés de cinéma, qu’ils désirent faire de la réalisation ou encore apprendre plus de choses sur la manière de concevoir un film par le choix d’une optique, le placement de la caméra par rapport à l’émotion de la scène. Le lecteur peut ainsi comprendre en quoi chaque cinéaste, de Scorsese en passant par Lynch jusqu’à Patrice Leconte, est différent dans sa manière d’appréhender et réaliser un film, tout comme leur idée du septième art.

Bien que le livre ne soit pas très poussé en terme d’explications ou d’analyses, il offre une sorte de préambule à de futurs réalisateurs qui désireraient s’inspirer de leur(s) maître(s) avant de trouver leur style.

Leçons de Cinéma (Nouvelle édition)
Laurent Tirard
Nouveau Monde édition
ISSN 978-2-84736-464-4
Année de publication septembre 2009
Prix recommandé 25,00 €

Un film percutant pour un plaisir coupable (Expendables, unité spéciale)


Attendu comme le loup blanc. Le dernier film de Sylvester Stallone, avec son casting mémorable, reste dans la lignée de ses dernières réalisations : géniales. Sly met fin une nouvelle fois à une légende, celui des héros des années 80 et 90 bodybuildés et capables des plus extraordinaires prouesses.


The Expendables est le nom d’un groupe de mercenaires, envoyé sur des missions difficiles lorsque d’autres organismes ont les mains liées. Ils sont contactés par Monsieur Church (Bruce Willis) pour tuer le dictateur d’une île d’Amérique du Sud.
Evidemment, résumé comme cela le film paraît très simple, et il ne faut pas se faire d’illusion, il l'est. L’intrigue va d’un point A à un point B sans sortir de son chemin. Ce scénario lambda est dirigé par un génie qui enterre ici ses propres mythes et ses thèmes de prédilections. Stallone semble tirer une sorte de conclusion sur sa carrière (comme avant lui Clint Eastwood avec Gran Torino, 2008) et faire un clin d’œil à tous ses films, des premiers Rambo en passant par d’autres plus obscurs comme Cobra (George Pan Cosmatos, 1986) dont il était lui-même le scénariste.


Pour beaucoup, Expendables, Unité spéciale pourrait ressembler à un "nanard". Bien entendu Il n’est pas le film intellectuel du siècle, il n’y a pas d’arrière-fond politique ni sociologique. Il faut le prendre tel qu’il est, c’est-à-dire bonne série B qui permet de passer du bon temps et de se faire plaisir.


La grande force du film, et du réalisateur, est de toujours réagir en deux temps : une scène d’action est systématiquement suivie d’un bon mot ou d’une blague. Schéma très hollywoodien, fortement mis en images par les Buddy movie et surtout la célèbre série des Armes fatales. Mais Stallone n’en reste pas là et intègre à travers l’action des moments plus empreints d'émotion, laissant ainsi la part belle aux jeux d’acteurs. Chaque personnage s’épanouie lors de SA scène. Jet Li plutôt en retrait se voit offrir son "quart d’heure de gloire" avec deux combats contre Dolph Lundgren et Gary Daniels ou encore Mickey Rourke lors de son émouvante tirade sur la condition du mercenaire.
Le plaisir du film, comme celui de Stallone, est de ressusciter ces anciennes gloires des années 80 pour leur offrir un (peut-être) chant du cygne et de se réjouir de tourner des scènes hors combat et au-delà de toute vraisemblance, pour le seul plaisir des yeux.


Car finalement voilà bien ce qu’est Expendables, Unité spéciale, un plaisir coupable ! Il ne joue que sur la solitude et l’imaginaire enfantins de toute une génération. Tous ceux qui se sont rêvés un jour John Rambo zigoulliant à tout va vont retrouver le plaisir des films des années 80.  Que cela soit dans l’apothéose du film avec l’attaque du manoir du dictateur et son surjeu d’action : le palais est littéralement atomisé par la surcharge d’explosifs installée par les mercenaires. Ou encore Stallone, le pistolet au poing tirant sans cesse et rechargeant à une vitesse folle, ou bien lançant une roquette à la main et de tirer dessus afin de détruire un hélico. Séquences fantasques par leur grandiloquence mais qui collent parfaitement.




Si le film représente la fin d’un mythe : l’homme d’action sans pouvoir, il est aussi la transition d’une époque à une autre. Et le grand représentant des années 2000 est ici incarné par Jason Statham. On se plait  à le voir partager l’affiche (et plus de la moitié du film) au côté de Stallone comme un petit jeune qui entrerait dans un cercle très fermé et qu’il faudrait initier à toutes les règles, un vent de jeunesse créant un décalage. Les joutes verbales entre les deux personnages préconisent d’ailleursce passage entre deux âges. Que cela soit sous la forme de l’humour à propos de la différence d’âge : « Tu n’es plus aussi rapide qu’avant laisse-moi faire ». Ou à propos d’une relation : « je ne savais pas que notre relation avait évolué à ce stade ». Stallone indique ainsi la voie à son nouveau protégé. Il ne reste plus qu’à espérer que Statham réalisera des films aussi percutants que son aîné.


Expendables, unité spéciale (sortie le 18 août 2010)
un film de Sylvester Stallone
avec Sylvester Stallone, Jason Statham