Une pure méditation cinéphilique (Des hommes et des dieux)

On a souvent rapproché le cinéma et la foi. Tous les deux portent un seul et même principe, celui de « la croyance ». L’un veut faire croire le réel dans une histoire fictive et l’autre cherche à convaincre en un homme supérieur qui prédomine les événements. Le nouveau film de Xavier Beauvois joue de ses deux formes de foi et les transporte à leur paroxysme.

Dans un monastère de Tibhirine, des moines cisterciens vivent en parfaite harmonie avec la population locale. Mais la menace grandissante des groupes islamistes du Maghreb des années 1990 les oblige chacun à renouveler leur foi et se questionner jour après jour pour savoir s’ils doivent partir ou rester afin d’accomplir leur mission au sein de la vie locale. Basé sur une histoire vraie ce récit s’inspire librement de la vie de ces hommes d’église dans une période de trois ans allant de 1993 à 1996, c’est-à-dire jusqu’à leur enlèvement.


Des hommes et des dieux mérite son Grand Prix du Festival de Cannes 2010. Tant par sa mise en scène que par son brio narratif, Beauvois transpose la méditation ecclésiastique en méditation cinéphilique tout cela nappé dans une atmosphère monastique de bougie et de vitraux.
Le film nimbé d’un certain mysticisme semble se rapprocher du Ordet de Dreyer où chacun met sa foi à rude épreuve afin de comprendre les vicissitudes de la vie et des actions qui se déroulent autour. Comme le dit Frère Christian (Lambert Wilson), un monastère est un endroit de paix et de prière. Le film de Beauvois se trouve aussi être comme ce lieu, celui où la foi (aussi bien du cinéma que de la religion) semble à chaque instant remise en question. Les moines s’interrogent sur la place de Dieu dans notre société et se demandent s’ils doivent rester par amour de leur croyance et mourir pour elle. Et le réalisateur s’interroge sur la place du septième art et sur la docu-fiction, qui lui est si chère (il a largement excellé dans ce style avec Le Petit lieutenant).
Qui aurait pu croire qu’un film sur la vie monacale puisse défrayer la croisette au point de lui décerner une récompense. Personne. Mais tout le talent du réalisateur est de savoir allier plasticité et prière, mouvement et fixité, et de rentrer dans cette vie recluse avec un profond respect.



Toute la force du film réside d’ailleurs dans cet accomplissement de soi. Chacun des moines se raconte, s’explique sur sa foi. Ils deviennent, au fil des discussions et des remises en questions, des hommes à part entière emprunts d’une force émotionnelle encore rarement exploitée par le cinéma.
La quintessence de ce dispositif se retrouve d’ailleurs dans l’une des dernières séquences, que l’on pourrait appeler le dernier repas (métaphore de la Cène). D’habitude moment calme et bercé par la lecture des Saintes Evangiles par le Frère Luc (Michael Lonsdale), ce dernier va perturber cet instant saint en insérant une cassette du Lac des Cygnes dans un lecteur et en servant du vin à tous les convives. Contaminés par la tristesse de ce morceau classique, et surtout mis en image avec une subtilité ahurissante (l’évolution du cadre allant du gros plan au très gros plan sur les yeux des personnages qui crée une émotion très forte dans notre conscience), on pourrait se surprendre, tout comme les personnages, à embuer notre regard transporté par cette image d’hommes au service de leur foi.

Avec ce film, Xavier Beauvois signe encore une fois un chef d’œuvre du docu-fiction, maîtrisé de main de maître. Et il est enfin possible de dire que non le cinéma français n’est pas mort. Amen !


Des hommes et des dieux (sortie le 8 septembre 2010)
un film de Xavier Beauvois
avec Lambert Wilson, Michael Lonsdale

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