Une vision sans concessions (Les Arrivants)

Après les débats sur l’identité nationale, là où chaque homme politique s’est cassé une dent, il était temps qu’un documentaire donne un aperçu de l’accueil des migrants dans un pays qui ne les accepte plus. Le nouveau film de Claudine Bories et de Patrice Chagnard nous fait voir l’envers du décor.

Loin des discours aseptisés, bienvenue à la CAFDA (Coordination de l’accueil des familles demandeuses d’asile). Sans parti-pris, ni manichéisme, le duo Bories-Chagnard dessine, à l’aide de séquences comme des pièces de puzzle, le schéma de l’accueil des migrants chez nous. Ils suivent au jour le jour ces familles aux prises avec la bureaucratie kafkaïenne pour leur demande d’asile. Face à des assistantes sociales nerveuses, dépourvues de moyens, ces nouveaux arrivants, perdus, anxieux, à peine débarqués d’un camion de passeurs, venus de Mongolie, du Sri Lanka ou d’ailleurs, doivent enfin se poser, arrêter de bouger, pour raconter leurs histoires et obtenir des droits. Restant au plus proche de leur sujet, les réalisateurs n’interviennent jamais dans les récits de chacun et laissent se dérouler les entretiens sans fausse mise-en-scène.

Du vrai cinéma. Claudine Bories et Patrice Chagnard sont toujours à l’extrême de la perfection dans leurs propositions. Le montage et les plans, qui semblent toujours à la limite d’échapper à tout contrôle, sont en réalité parfaitement maitrisés et offrent ce coté sanguin au film. Une fin de plan ou un raccord n’est jamais la fin d’une histoire. Pleine de rebondissements, de nouveaux éléments sont encore dévoilés au fil du temps.

Sans sentimentalisme, ni intransigeance, les différentes histoires qui nous sont contées sont traitées avec la même envie de raconter. On est touché de voir qu’elles donnent enfin un visage à ces nouveaux arrivants qui font si peur. Le film ne souffle pas une prise de conscience au public, il rend simplement compte de l’existence de ces demandeurs d’asile, de ces nouveaux arrivants, en proie à cette utopie qu’est la France.


Les Arrivants
un film de Claudine Bories et Patrice Chagnard, sortie le 7 avril 2010

Les Murmures du vent

Une contemplation de la nature Kurde qui se regarde aussi avec les oreilles. Shaharam Alidi réalisateur Kurde-Iranien raconte l’histoire de son pays avec une délicatesse à laquelle on ne s’attend pas. Alidi raconte l’histoire de Mam Baldar, messager qui enregistre les paroles des uns des autres comme certains envoient des lettres. Son métier l’oblige à parcourir le pays. À travers son pare-brise il le voit évoluer et se faire martyriser par l’armée irakienne. Le réalisateur ne tient pas seulement une chronique sur les persécutions du peuple kurde, il a l’art et la manière de rendre compte d’un pays, à l'instar d'Abbas Kiarostami, son collègue de l’école de Téhéran.

Shaharam Alidi prend le temps de filmer les montagnes, le désert et de poser un regard sur cette nature. Il comprend l’âme humaine à travers ce voyage et son guide. Le messager est le propre spectateur des changements du Kurdistan et de l'incompréhension de la guerre. Celle-ci se livre à la fois armée ou avec des ondes, du son. Balbar est un résistant, il gagne sa guerre en confiant les messages au vent pour qu’il les porte par delà les frontières.
Les Murmures du vent  racontent l’histoire d’un pays dans une époque trouble, sans complaisance. Il n’est pas question de refaire l’histoire mais de laisser une trace. Comme l’image de ce nain laissant un message audio à Balbar et l’écrivant sur la crasse de sa voiture. Un message effacé dès les premières pluies.

De ce film, on retiendra surtout la magnifique utilisation du son. Non plus en tant que symbolisation de l’image, mais comme fil conducteur de la narration. Le vent emporte le récit comme il fait voltiger une feuille d’un lieu à un autre. C’est cet élément qui emporte les prières des âmes damnées vers Dieu comme dans cette magnifique scène où Balbar accroche son poste à un arbre sur une colline laissant le vent conduire les messages à leurs destinataires. Alors que chez Kiarostami et son poème visuel, le vent emporte les hommes, dans Les Murmures du vent, le réalisateur les déporte vers une autre destinée, celle d’un pays meurtri dans trop d’années de guerre.
C’est avec considération et respect que Shahram Alidi filme ses personnages sans larmes, ni fracas. Sa vision de la guerre comme de la résistance auditive exprime la seule liberté encore possible de nos jours, celle de la parole à condition qu’elle ne soit surtout pas prononcée trop fort.

Avec une esthétique hors du commun Les Murmures du vent est un véritable poème auditif et visuel. Shahram Alidi réussit à faire de son œuvre une force contre la nature humaine et redonne un espoir dans les éléments qui entourent chaque pays. Il murmure sa douce mélancolie avec enchantement. 

Les Murmures du vent
un film de Shahram Alidi, sortie le 31 mars 2010

La métamorphose de la Gibson (Henry)

Après Rock Academy avec l'exubérant Jack Black ou encore Spinal Tap, Kafka (alias Francis Kuntz, le célèbre journaliste tête à claques de Groland) rejoue ici la formation d'un groupe musical, conservant la lignée de son personnage du petit écran. Henry, guitariste minable de bals populaires, est une vrai ordure. Prêt à tous les coups pour obtenir ce qu'il veut, il n'hésitera pas à faire interner sa sœur ou à escroquer la mère de son pote fraichement décédé. En bref ce vendeur d'instruments est un véritable connard, mais du genre de ceux à qui l'on s'attache et que l'on aime détester. Kafka fait de son personnage et de son film un ovni dans le panel des sorties hebdomadaires. Réalisé entre potes en conservant l'humour Groland, Kafka s'entoure d'acteurs sur sa même longueur d'onde. On notera la remarquable interprétation d'Élise Larnicol (ex Robins des bois) dans le rôle de la sœur de Henry, dépressive et toujours à côté de la plaque. Leurs allocutions verbales, entre violence et passivité, sont un plaisir. Depuis bien longtemps Larnicol n'avait pas été vue sur le devant de la scène, et ici c'est une belle leçon d'actrice qu'elle nous donne. Une œuvre qui vaut le détour rien que pour sa présence à l'écran.

On regrette que Kafka ne parvienne cependant pas à sortir son film des méandres de ce qu'il faisait déjà pour Groland. Les sketchs se suivent et finissent par se ressembler et sans pour autant amener de l'eau au moulin. Dès le début, on le comprend, Henry est un naze sans sentiments pour personne à part pour lui-même, un brin raciste et requin sans scrupules. On sent que Kafka cherche à en faire un être à part, tout comme il cherche à ne pas faire ce qui se fait déjà dans le cinéma français. Mais sur une heure trente, les blagues ne font finalement plus rire, restant de pâles copies des fameuses vidéos du journaliste tapageur, l'inventivité en moins, la longueur en plus.

Finalement, même si le film Henry sort du lot il ne marquera pas par ces intentions mal menées, mais uniquement par sa brochette d'acteurs et de gueules atypiques. Ce n'est déjà pas si mal.


Henry
un film de Pascal Remy et Kafka, sortie le 31 mars 2010
avec Elise Larnicol; Kafka (alias Francis Kuntz), Bruno Lochet, Jean-François Derec, Lucien Jean-Baptiste, Gustave Kervern