Vénus Noire

Loin des clichés sur l’esclavage et le colonialisme, Abdellatif Kechiche signe encore une fois une œuvre forte et sans complaisance. Venus Noire retrace les dernières années de la « Venus Hottentote » de son vrai nom Saartjie Baartman (Yahima Torres). Elle se retrouve exhibée par ses patrons (André Jacobs, Olivier Gourmet) devant des publics voyeurs de ses formes (protubérance de ses fesses, mais aussi couleur de sa peau). Elle est présentée comme un animal que chaque personnages autour va ausculter ou encore toucher comme une bête de foire. La fameuse phrase d’ouverture : « Je n’ai jamais vu de tête humaine plus semblable à celle des singes » suggère déjà l’importance du regard et surtout du voyeurisme. Comme l’incipit d’Elephant Man de David Lynch, c’est sur la notion de différence et d’animalité que joue le réalisateur Kechiche.
Saartjie Baartman après avoir été exposée devant le public anglais, qui finira par la traduire devant les tribunaux pour insulte au peuple d’Afrique, quitte l’île pour venir dans les quartiers libertins de Paris. À partir de là rien ne va plus pour la jeune protagoniste. Ce n’est plus de danse ou encore de spectacle dont il est question, mais de prostitution. Elle doit montrer son anatomie et se faire toucher par les bourgeois afin de leur rendre leur plaisir.
Dur et langoureux voilà comment pourrait se traduire la deuxième partie du film, mais Kechiche offre des instants magiques. On soulignera la scène de la danse, qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler les dernières minutes du film La graine et le mulet du même cinéaste. Ici, ce n’est plus dans l’effort que le corps vit mais dans la transe, comme un exutoire, la vénus va danser jusqu’à n’en plus pouvoir pour essayer de sortir de ce cauchemar. Instant décisif et en même temps particulièrement beau et simple.

Comme dans ses précédents films, comme La faute à Voltaire ou encore L’Esquive, les jeux de langues ont encore une place importante. Mais ici ce n’est plus seulement la langue de Molière qui est étudiée, Venus Noire joue sur une mixité des langages. Les patrons passent de l’Africain à l’Anglais et au Français comme les adolescents de L’Esquive alternent langue de Marivaux et le vocabulaire des banlieues. Ce mélange des couches sonores, ce passage constant entre les différentes formes de communication est surtout mis en place par le manque de paroles de la vénus qui ne parle qu’africain et ne comprend pas les autres. C’est par le visage de l’actrice et surtout par son regard que le cinéaste va parvenir à une autre forme de communication, celle de l’instinct et des émotions.
Tout repose sur un jeu de regardant-regardé, quoi qu’il se passe dans le cadre, un personnage est toujours le centre des attentions. La science et l’étude du corps encadrent le film et renvoient à ce genre de dialogue. L’assemblée contemple un moulage de ce que fût la vénus, sans aucun intérêt pour l’être, mais s’attachant à l’animal qui se rapproche du singe.
Avec Vénus Noire, Kechiche parvient encore une fois à marquer. Le film est une transe qu’il faut laisser vagabonder dans nos esprits.


Vénus Noire (sortie le 27 octobre 2010)
Réalisé par Abdellatif Kechiche 

Avec Yahima Torres, André Jacobs, Olivier Gourmet 

L’Europe fait son cinéma (Festival Cinéssonne)

Du 8 au 23 Septembre, le 12e Festival du Cinéma Européen en Essonne a encore une fois apporté son flot de nouveautés. Projetés dans la plupart des cinémas de la région, les films voyagent de salle en salle pour le plaisir et la découverte d’un public toujours assidu.



La Compétition Officielle marque par un éclectisme percutant. Les douze films sélectionnés ont pour la plupart de réelles qualités. Le festival s’attache à promouvoir des films européens qui pour la majorité ne sont jamais projetés en dehors de leurs pays.


Les œuvres présentées en compétition ont souvent comme leitmotiv les frontières et un vrai point de vue sur l’Europe.
C’est le cas par exemple de la comédie roumaine Wedding in Basarabia de Nap Toader. Avec une idée simple, un mariage entre deux personnes de deux communautés différentes (Slovaque et Roumaine), le réalisateur tente de mettre en avant les conséquences de la chute de certaines barrières par l’humour et la fête.
Sur un autre genre de dénonciations, celle des difficultés économiques liées à l’Europe, Slovenian girl (Damjan Kosole) narre le parcours d’une jeune étudiante qui se prostitue afin de payer ses études. Elle profite de la présidence de la Slovénie au Parlement Européen pour accrocher des clients diplomates. Décevant sur son intention esthétique, le film ne parvient pas à rehausser par ses propos.
Le film autrichien Der Kameramörder (Robert Adrian Pejo) située entre l’Autriche et la Hongrie trace la recherche d’un tueur d’enfant dans une atmosphère étouffante à la Haneke sans toutefois parvenir à trouver une réelle justesse et donner un sens à tout ce suspense.
Shahada, film allemand de Burham Qurbani traite quant à lui des différentes cultures et religions dans un pays en plein essor. Premier long-métrage, il ne manque pas d’effets de style et d’une bonne mise en scène pour un film choral proche de Innaritu et son Babel. Le cinéaste ne parvient toutefois pas à s’extraire de cette référence, mais il faut reconnaître à son auteur une certaine aisance dans le rythme et dans le choix des cadrages.


Les autres films de la Compétition Officielle moins communs par leurs thèmes n’en restent pas moins des œuvres visuelles intéressantes.
Metropia de Tarik Saleh, seul film d’animation du programme, œuvre entre 1984  de George Orwell et un mélange d’images animées et de prises de vue réelles.
Un film Hongrois a particulièrement retenu l’attention lors de ce festival, Adrienn Pal d’Agnés Kocsis. L’histoire d’une jeune infirmière un peu forte, qui travaille dans les soins palliatifs d’un hôpital, en quête de son amie d’enfance. Ce film émouvant et parfois dur par sa longueur (2h16) capte pourtant l’attention par l’élaboration scénique de la cinéaste. Sans complaisance avec son personnage, les plans qu’elle soumet sont dignes des très grands films sur le désoeuvrement et la recherche du « Soi ». Par son enquête sur son enfance, la protagoniste va se perdre dans les méandres de la ville qui la rejette toujours.


Le festival Cinéssonne aura surtout marqué cette année par l’arrivée de véritables perles cinématographique.
Le dernier voyage de Tanya (Aleksei Fedorchenko) est resté très présent dans les esprits après sa projection. Ce voyage dans le rituel mortuaire d’une Russie campagnarde a surtout inspiré par sa mise en scène digne de la distanciation des plus grands films d’Abbas Kiarostami. Ce film donne une idée de la campagne oubliée russe et de ses cultures. Se laisser transporter par ce film est un véritable plaisir visuel.
Le Quattro Volte, poème visuel italien de Michelangelo Frammartino, restera comme La découverte du festival, une véritable claque cinématographique. Rarement dans le cinéma, il aura été donné de voir autant de propositions tant visuelles qu’auditives. Ce film muet, filmé dans un village montagneux d’Italie laisse au spectateur le plaisir de vagabonder dans son esprit. Ce pur plaisir contemplatif relève d’une véritable jouissance de la vue. Proche des photographies d’Henri Cartier-Bresson avec ces perpendiculaires et son instant décisif. Le cinéaste semble capter des instants de vie dans un petit village oublié de tous les problèmes. Véritable transe audio-visuelle ce film ne laissera personne sans émotions qu’elles soient bonnes ou mauvaises.


Étrangement, les films français n’ont pas été à la fête lors de cette édition.
Des filles en noires de Jean-Paul Civeyrac, cherche à comprendre le malaise de deux adolescentes gothiques en proie à un désir de mort. Par son abondance de clichés, le film perd de son intérêt dès les premières minutes. On pense plus à la mauvaise image donnée à une jeunesse en marge, qu’aux propos mêmes du récit. Le cinéaste dépeint un certain groupe social en le regardant de haut sans parvenir à le comprendre.
Le même reproche peut être fait à Memory Lane de Mikhaël Hers. Son portrait d’un groupe d’adolescents se retrouvant pour les vacances d’été dans la ville de leur enfance paraît tout droit sorti des idées préconçues sur la jeunesse aujourd’hui dans ses goûts musicaux, sur l’amour ou encore les relations. La mise en scène, par la surabondance d’effets, allant du travelling qui ne sert à rien sur des arbres au ralenti plus que rebutant pendant une soirée, met le spectateur mal à l’aise. Il se perd dans les méandres d’un voyeurisme malsain avec une séquence érotique très longue et très crue. Du voyeurisme à l’abjection, il n’y a qu’un pas et Hers, malheureusement, y est tombé dedans des deux pieds.
Géraldine Bajard quant à elle essaie avec La Lisière de s’engouffrer dans le cinéma fantastique.  Un jeune médecin arrive dans une nouvelle ville et va être pris à partie par les jeunes, qui, comme une meute, ne parviennent pas à vivre les uns sans les autres. Ce film inspiré du Village des damnés de John Carpenter n’arrive pas à tendre vers l’horreur de l’animalité enfantine.
Mais il n’y a pas que les Français qui ratent leur coup. Mardi après Noël, du Roumain Radu Muntean, raconte une rupture douloureuse après une infidélité et ne réussit pas à se dégager de son opiniâtreté classique. Ce film ne laisse aucun arrière-goût tant il manque d’inventivité et de modernité sur les rapports humains.


Quoi qu’il en soit, le Festival du Film Européen en Essonne aura encore une fois marqué par son choix d’œuvres innovantes tout cela agrémenté de rétrospectives et d’invités d’honneurs tels que Volker Schlöndorff, Jean-Claude Carrière, ou encore Olivier Assayas qui venait présenter Carlos, ou encore Mathieu Amalric venu faire une conversation avec les frères Larrieu… Bien d’autres rencontres et manifestations ont fait de ce festival un lieu de transmission et de débats où les films passent les frontières sans craindre de rester bloquer en douanes. Cela fait maintenant plus de dix ans que le festival offre un nouveau regard sur le vieux continent, il ne reste plus qu’à lui espérer tout autant pour les décennies à venir. 

Un documentaire métaphysique et transcendant (Les rêves dansants, sur les pas de Pina Bausch)

Peu de temps avant sa mort, la chorégraphe Pina Bausch décide de reprendre sa pièce la plus connue, Konktakthof, sans sa troupe officielle mais avec des adolescents n’ayant jamais dansé. Anne Linsel et Rainer Hoffman, intrigués par le projet, suivent cette « star academy » pas comme les autres.

Ils offrent un documentaire hors du commun sur le monde de la danse et de l’adolescence. Des jeunes vont apprendre à danser mais aussi et surtout à découvrir leur corps. Car s’il y a bien une chose que met en avant ce film, c’est la découverte de soi par la danse. Si le cinéma ou la vidéo donnent une idée du corps, permettent de se rendre compte de sa représentation, la danse, quant à elle, en serait l’opposé par la construction de cette conscience dans la sensation. Les ados, au début mal à l’aise dans les mouvements, découvrent petit à petit toutes les particules qui font leur enveloppe. C’est avec la découverte de leur anatomie que la danse et la troupe vont prendre forme et devenir un personnage différent.

Les deux réalisateurs dans un soucis de réalisme s’effacent. La caméra semble cachée, elle ne gêne jamais les mouvements ou les émotions des adolescents. Par cette mise à distance du cinéma et de son dispositif, c’est tout l’attrait du film qui prend forme. On n’est plus dans une mise en perspective de la chorégraphie de Pina Bausch, mais dans la découverte d’artistes et de leur apprentissage. Il est hallucinant de voir dès les premières images l’aura de certains de ces jeunes danseurs. Les cinéastes captent la naissance de ce qui pourrait devenir de grand artiste, comme la jeune fille blonde timide qui finalement, par son incroyable présence physique, deviendra le rôle-titre de la pièce et du film.

Les Rêves dansants n’est pas seulement un documentaire sur la danse, c’est aussi une vision de la jeunesse allemande, de ses origines, ses sentiments et ses rêves. À travers des entretiens avec les adolescents, qui ponctuent leur apprentissage, les réalisateurs tentent d’en savoir plus sur eux et leurs motivations. À travers cette série de portraits, les jeunes peuvent s’exprimer, par la parole cette fois, sur tout et rien. Ces petites incursions permettent de comprendre que leur passé, leurs histoires les nourrissent pour exprimer au mieux les gestes de la chorégraphie. Ainsi, la perte d’un père se transforme en un mouvement du corps.

Le documentaire offre un véritable panel de visage et d’individus qui vont se confronter tout au long du film et finir par former une troupe à la fois filmique et scénique. Les derniers plans sur la scénographe Pina Bausch offrant des fleurs à ces nouveaux artistes clôture ce film dans un élan d’émotions. Dernières images avant la mort de ce génie de la danse qui donne son héritage à une jeunesse prometteuse.


Les Rêves dansants, sur les pas de Pina Bausch (sortie le 13 octobre 2010)
Un film de Anne Linsel et Rainer Hoffman


Instantané d’une époque (La Vie au ranch)

Après avoir écumé de nombreux festivals, le premier long métrage de Sophie Letourneur qui fait déjà tant parlé de lui, arrive sur les écrans. La Vie au ranch raconte l’histoire d’un groupe de jeunes étudiantes et colocataires qui aiment faire la fête et profiter de leur indépendance. Irascibles, têtes à claques, amusantes, émouvantes, ces filles si proches de la réalité nous baladent d’émotions en émotions.
Pour son casting, Letourneur a choisi le groupe bien avant l’individu. Déjà amies dans la vie, les filles se livrent, à la fois proches les unes des autres et si éloignées de toute individualité.
Avec ses précédents courts-métrages, la jeune réalisatrice abordait la fin d’une époque de la vie et le commencement d’une autre. La Vie au ranch ne déroge pas à la règle. Il montre à travers ces visages la transition entre la « post-adolescence », la fin du monde rêveurs, et l’entrée dans l’âge l’adulte et sa prise de décision individuelle.
Le film de Sophie Letourneur est d’ailleurs dirigé comme un voyage initiatique. À l’instar des contes, ses personnages quittent le doux foyer « ranch » pour l’avenir. Après Paris, c’est à la campagne que les filles passent ensemble leurs vacances. Aux milieux clos et branchés de la Capitale succèdent les espaces ouverts et libres où il est possible de respirer sans prendre l’air. Mais c’est dans ces grands espaces que les disputes vont éclater, que les individualités vont se révéler, émerger, et ainsi prendre part à la vie réelle, loin de celle, fictive, créée par une communauté.

Et le film exploite joyeusement cette mise en scène. Tout d’abord caméra épaule, mobile et déstructurée, elle va, lors du voyage en campagne, se poser et plonger les personnages dans une intimité presque palpable. Le son est aussi la grande force du film. Travaillé, amplifié, rajouté, l’apport des sources sonores est multiple et peut parfois saturer l’écoute. Les filles, par leur flot constant de paroles qui se chevauchent, se croisent, étouffent la force du groupe dans une cacophonie constante. Letourneur met ici en image une parabole de discussion passionnelle, mais où finalement tout le monde parle et personne n’écoute. Il n’est plus question de communiquer mais d’exister par la parole, le son, faire sentir sa présence au monde ou au cinéma.


La forme du récit mélangé à celle de la mise en scène répond au propos sur le voyage initiatique de Sophie Letourneur. La Vie au ranch relève plus de la fable et du conte que du pamphlet sur une étude sociologique du groupe. La réalisatrice dresse le portrait de jeunes filles en quête de leur propre identité, à qui il manque peut-être un soulier de verre. Ce n’est plus le prince charmant qui délivrerait les jeunes demoiselles, mais l’espoir d’une prise de position individuelle.
Sophie Letourneur, avec sensibilité et grâce, tire les instantanés d’une jeunesse et capte des instants de vie comme de rares jeunes réalisateurs.

La Vie au Ranch (sortie le 13 octobre 2010)
Un film de Sophie Letourneur
Avec Sarah Jane Sauvegrain, Mahault Mollaret, Eulalie Juster…

Copiste ou essayiste (Petit tailleur)

Pour sa seconde incursion dans le monde du court-métrage, Louis Garrel cherche à mettre en lumière les doutes et les différentes personnalités des comédiens. Le réalisateur s’interroge sur les émotions humaines, la tricherie et le mensonge, ou encore la schizophrénie. Mais ce n’est pas sans mal qu’il parvient à faire tenir son scénario alambiqué.

Albert (Arthur Igual) est un tailleur romantique qui passe son temps à courir pour ne pas être en retard au travail ou pour ne pas rater la pièce de théâtre dans laquelle joue Marie-Julie (magnifiquement interprétée par Léa Seydoux) et dont il est éperdument amoureux. S’ensuivent des conversations sur l’amour, les comédiens et la fuite.

Dans ce nouveau film Garrel traite des difficultés émotionnelles qui semblent aujourd’hui naître dans le cinéma français avec Christophe Honoré par exemple. Tout comme le réalisateur des Chansons d’amour, Garrel est proche de la nouvelle vague et utilise le ton de celle-ci pour parsemer son film de citations parfois illusoires.


Louis est bien « le fils de son père ». L’utilisation du noir et blanc, mais aussi des portraits découpés comme des peintures de Caravage ne sont pas sans rappeler les œuvres si puissantes de Philippe Garrel.  On en vient même à se demander si le paternel ne passait pas de temps en temps sur le tournage afin de promulguer des conseils avisés à son fils. Il est toujours dur pour un « fils de » de se démarquer de l’influence d’un héritage stylistique. Et si cet emprunt au cinéma de son père peut se révéler comme un défaut, il faut cependant reconnaître que Louis Garrel possède de nombreux atouts et en particuliers dans la direction d’acteurs.

Petit Tailleur est un moyen-métrage à voir comme un possible héritage de la famille Garrel avec un petit plus du côté des comédiens.

Petit tailleur (sortie le 6 octobre 2010)
Réalisé par Louis Garrel
Avec Arthur Igual, Léa Seydoux, Grand Albert…

Le corps d’un père, l’âme d’un pays (Un homme qui crie)

Un film simple marqué d’une émotion hors du commun. Lors de sa sélection au festival de Cannes Un homme qui crie du réalisateur Tchadien Mahamat Saleh Haroun faisait déjà parler de lui. Cela faisait plusieurs dizaines d’années qu’un film africain n’avait pas été admis dans le cercle très prisé de la Compétition Cannoise. De plus auréolé d’un Prix Spécial du Jury, le film n’a pas quitté le festival sans laisser son empreinte.

Adam ancien champion de natation est maître nageur dans un grand hôtel récemment acheté par un groupe chinois. Mais il est remplacé par son fils. Il se retrouve déclassé socialement et occupe la fonction de garde-barrière. En parallèle, une nouvelle guerre éclate dans le pays et l’armée a besoin d’argent et d’hommes. Pour se venger de son fils, Adam décide de le donner à l’armée, une coutume très répandue au Tchad lorsqu’un père ne peut payer l’effort de guerre.


Comme chez Ozu, avec son très beau Il était un père (1942), Haroun s’arrête sur les relations père/fils. La justesse de ton et d’image du cinéaste n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle de son acolyte asiatique. Tout comme leur travail du hors champs ou encore les plans au ras du sol.
Sans Plagiat, Haroun crée, comme chez le cinéaste Japonais ou encore même chez l’Iranien Kiarostami, une bonne distance entre le récit et la mise en scène. Dans Un homme qui crie, il n’est pas question de marteler un dispositif émotionnel à coup de gros plans ou encore de changements de cadre. Il s’agit de donner une raison à un geste.


Dans une parenthèse théologique, Haroun s’intéresse ici à la faute et au pardon des pères. On en vient même à se demander si le film n’est pas non plus une prière au Père tout puissant quant aux innombrables enfants soldats qui enrichissent les milices tchadiennes.
Le cinéaste chercherait presque à expier les blessures de la guerre, voire à les purifier par l’importance de l’eau dans son film, que cela soit avec la piscine sur laquelle s’ouvre le film, ou encore le lac en fin de film. Cet élément tient une place non négligeable dans Un homme qui crie, toujours calme et paisible il apporte une sérénité aux personnages.
Loin du pathos, et grâce à la distance scénique Haroun se sort de tous les clichés attendus. Ses placements de caméra nous emmènent loin de toute quête de larme ou encore de la mythification d’un pays. Les rares gros plans expriment ou renforcent une idée. Lorsque la copine du fils enceinte chante pour lui et enregistre sur une K7 un message, on retrouve alors toute la force de ce réalisateur qui sait jouer avec les codes du cinéma afin de parvenir à une extrême douceur dans son propos et ses images.

Haroun signe une œuvre inoubliable. Et le génie de ce réalisateur est de savoir transmettre, à travers l’histoire d’un homme, toute l’âme d’un pays meurtri.


Un homme qui crie (sortie le 29 septembre 2010)
de Mahamat Saleh Haroun
avec Youssouf Djaoro, Diouc Koma