Instantané d’une époque (La Vie au ranch)

Après avoir écumé de nombreux festivals, le premier long métrage de Sophie Letourneur qui fait déjà tant parlé de lui, arrive sur les écrans. La Vie au ranch raconte l’histoire d’un groupe de jeunes étudiantes et colocataires qui aiment faire la fête et profiter de leur indépendance. Irascibles, têtes à claques, amusantes, émouvantes, ces filles si proches de la réalité nous baladent d’émotions en émotions.
Pour son casting, Letourneur a choisi le groupe bien avant l’individu. Déjà amies dans la vie, les filles se livrent, à la fois proches les unes des autres et si éloignées de toute individualité.
Avec ses précédents courts-métrages, la jeune réalisatrice abordait la fin d’une époque de la vie et le commencement d’une autre. La Vie au ranch ne déroge pas à la règle. Il montre à travers ces visages la transition entre la « post-adolescence », la fin du monde rêveurs, et l’entrée dans l’âge l’adulte et sa prise de décision individuelle.
Le film de Sophie Letourneur est d’ailleurs dirigé comme un voyage initiatique. À l’instar des contes, ses personnages quittent le doux foyer « ranch » pour l’avenir. Après Paris, c’est à la campagne que les filles passent ensemble leurs vacances. Aux milieux clos et branchés de la Capitale succèdent les espaces ouverts et libres où il est possible de respirer sans prendre l’air. Mais c’est dans ces grands espaces que les disputes vont éclater, que les individualités vont se révéler, émerger, et ainsi prendre part à la vie réelle, loin de celle, fictive, créée par une communauté.

Et le film exploite joyeusement cette mise en scène. Tout d’abord caméra épaule, mobile et déstructurée, elle va, lors du voyage en campagne, se poser et plonger les personnages dans une intimité presque palpable. Le son est aussi la grande force du film. Travaillé, amplifié, rajouté, l’apport des sources sonores est multiple et peut parfois saturer l’écoute. Les filles, par leur flot constant de paroles qui se chevauchent, se croisent, étouffent la force du groupe dans une cacophonie constante. Letourneur met ici en image une parabole de discussion passionnelle, mais où finalement tout le monde parle et personne n’écoute. Il n’est plus question de communiquer mais d’exister par la parole, le son, faire sentir sa présence au monde ou au cinéma.


La forme du récit mélangé à celle de la mise en scène répond au propos sur le voyage initiatique de Sophie Letourneur. La Vie au ranch relève plus de la fable et du conte que du pamphlet sur une étude sociologique du groupe. La réalisatrice dresse le portrait de jeunes filles en quête de leur propre identité, à qui il manque peut-être un soulier de verre. Ce n’est plus le prince charmant qui délivrerait les jeunes demoiselles, mais l’espoir d’une prise de position individuelle.
Sophie Letourneur, avec sensibilité et grâce, tire les instantanés d’une jeunesse et capte des instants de vie comme de rares jeunes réalisateurs.

La Vie au Ranch (sortie le 13 octobre 2010)
Un film de Sophie Letourneur
Avec Sarah Jane Sauvegrain, Mahault Mollaret, Eulalie Juster…

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