(The Brakhage lectures)

Enfin un nouveau livre de Stan Brakhage ! De cet auteur américain hors du commun, la France ne connaissait qu’un seul ouvrage, le célèbre Métaphore et vision aux éditions Centre Georges Pompidou. Ce dernier offre déjà une très grande analyse de l’œuvre de ce cinéaste et de ses expérimentations, Brakhage y exprime sa définition et sa pensée sur la lumière, si importante dans ses films comme dans le cinéma en général.
Pour ce nouvel ouvrage, les éditions Capricci ont fait traduire le livre de Brakhage écrit à l’occasion d’un séminaire donné à l’école de l’Art Institute of Chicago entre 1970 et 1971.

Lors de ses conférences, Brakhage donne sa vision du cinéma : « Laissez-moi vous dire, le plus simplement qu’il m’est possible : la quête d’un art… qu’il s’agisse de création ou d’appréciation… est la plus terrifiante aventure qu’on puisse imaginer. Elle mène toujours vers des régions inexplorées ; l’âme est menacée de mort à tous les tournants ; l’esprit s’éreinte complètement ; et le corps va et vient, sans fin, en parcourant une terre de moins en moins familière. Il n’y a AUCUN espoir de revenir du territoire découvert au bout de cette aventure ; et il n’y a AUCUN espoir d’être délivré de l’impasse dans laquelle une telle quête peut mener. » Cette introduction au livre prouve bien l’idée que l’auteur se fait du cinéma et de l’art. Dans ses « lectures », le cinéaste prend quatre réalisateurs qui ont eux aussi, à leur manière, marqué l’histoire : Méliès, Griffith, Dreyer, Eisenstein.

Avec toute la poésie qui imprègne ses films, Stan Brakhage raconte les vies de ces personnages et leurs contributions au cinéma. Il va cependant y apporter sa touche personnelle en inventant leurs biographies et en les rapprochant des écrits de Freud ou de Mélanie Klein sur le moi et les résurgences de l’enfance dans le monde adulte.
A partir de ces données, et de son analyse, il va confronter l’œuvre de chacun des réalisateurs face à ce qui aurait pu construire sa carrière. Comme la femme-ventre chez Méliès symbole féminin de projection du cinéma au stade embryonnaire, la sauvagerie chez Griffith, puisant dans sa sauvagerie pour obtenir des batailles et une grammaire du cinéma. Ou encore l’existence face à la trame des contes de fées chez Dreyer pour lutter contre la raideur de sa culture et instituer un nouveau classicisme. Pour Eisenstein, il apprivoise l’horreur dont il fut saisi à la naissance pour déployer une esthétique du montage et un totémisme fabuleux.

La genèse de ce livre tient à comprendre le destin de ces réalisateurs et de leurs films, mais aussi ce qu’ils ont créés pour le cinéma. Les traits professionnels sont brillamment auscultés et analysés en fonction de la particularité de chacun, que ce soit le merveilleux et la magie chez Méliès, la grammaire chez Griffith, la lumière chez Dreyer, ou encore le montage chez Eisenstein. Pour chaque spécialité Brakhage puise dans la psychanalyse et dans son talent de conteur pour nous transporter dans les prémices de ce qui fera le cinéma.

L’auteur ne fait pas seulement un conte psychanalytique de ce qu’ont été leurs vies. Il donne avant tout sa propre conception du cinéma. Comme dans Métaphore et vision, ce qui marque les écrits de Brakhage, ce sont ses questions sur la lumière et sur son réfléchissement sur la matière humaine, sur l’incarnation. En prenant en exemple d’autres réalisateurs, il confronte son point de vue face à l’histoire d’un art.
Stan Brakhage nous conduit par la poésie dans les histoires du cinéma et c’est avec un réel plaisir que l’on se prend à lire ce conteur de talent. Il est d’ailleurs bien dommage que beaucoup de ses écrits ne soient pas encore traduits. Amis éditeurs… 

The Brakhage lectures
Meliès, Griffith, Dreyer, Eisenstein
de Stan Brakhage
Editions Capricci  (en librairie, 13€)

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