La route Tsigane (Liberté)

Des casseroles, des roues, des ustensiles de ferronnerie, le tout balancé par le rythme de la caravane de roulottes tirées par des tsiganes. Un rythme lancinant et harmonieux pour ces premières images. Liberté est le nouveau film de Tony Gatlif (Gadjo Dilo, Exil, Transylvania) sur une époque trouble de l’histoire de la communauté tsigane. Sous la France de Vichy, une famille gitane fait escale dans un village pour la cueillette, celle-ci est aussitôt mise sous la protection du maire/vétérinaire (Marc Lavoine) qui va tout faire pour les protéger des oppressions de la police française et des propriétaires peu scrupuleux. Gatlif retrace le génocide du peuple tsigane et son emprisonnement avant même la déportation juive. Le réalisateur, par une étude ethnologique du peuple tsigane, de sa culture, et de son rapport à la nature, crée de micros-histoires qui viennent nourrir le film. Le personnage le plus intéressant du film, Taloche (James Thiérrée), incarne un idiot dostoïevskien, un homme qui ne voit pas le monde comme les autres. C’est lui qui apporte un souffle au film et qui le conduit jusqu’à son paroxysme, il arrive même à faire des autres personnages de simples faire-valoir devant sa propre folie et son amour de la nature et des petites choses.

Malgré quelques maladresses, Gatlif, comme dans un morceau de guitare à la Django Reinhardt, parvient lors de certains solos à souligner une mise en scène toute en finesse. Des fils barbelés se transforment, par le pincement des doigts d’une petite fille, en harpe et raisonnent dans le camp comme les sanglots longs de l’automne. Malheureusement ces trop rares séquences sont contaminées par une mise en scène et une narration des plus banales. On pense notamment à l’histoire entre Théodore (Marc Lavoine) et Mademoiselle Lundi (Marie-José Croze). Cette relation a tendance à prendre le premier plan de l’action, si bien que l’on finit par ne voir qu’une simple histoire d’amour dans un film qui avait pour point de départ un génocide. La mise en scène en devient quelconque et disparate, il est bien triste de voir la qualité et l’attrait du nouveau Tony Gatlif s’arrêter à de simples séquences bouffées par la romance. La véritable liberté se trouve surtout dans les séquences tarkovskiennes sur les rapports du peuple tsigane et de la nature. Dommage qu’un mot ne fasse pas un film.


Liberté
un film de Tony Gatlif, sortie le 24 février 2010
avec Marc Lavoine, Marie-Josée Croze et James Thiérrée

L'île du docteur Scorsese (Shutter Island)

Scorsese réalise un coup de maître. Après Eastwood et le très sombre Mystic River, ou Ben Affleck pour son film Gone Baby Gone, Martin Scorsese adapte une nouvelle fois un roman de l’écrivain Dennis Lehane où la noirceur de l’intrigue et des personnages se révèle à chaque instant du film. Chaque faux raccord fait tout d’abord pensé à une erreur de montage, mais l’on se rend vite compte que ce cinéaste de génie cherche à faire plonger le spectateur dans sa propre folie.
Le marshal Teddy Daniels (Leonardo Di Caprio un rôle des plus sales et qui lui colle à ravir) est enclin à de nombreux cauchemars autour de son passé ; La découverte des camps de concentration lorsqu’il était soldat pendant la seconde guerre mondiale. Ou encore l’image de sa femme, brûlée vive. Son bureau lui demande de mener une enquête sur l’île de Shutter Island, dans un hôpital psychiatrique qui renferme les pires criminels. Cette mission fait ressortir ses démons. On s’attend, au fil de l’histoire, à une fin avec l’inspecteur en prison, déjà vue tant de fois. Mais Scorsese prend à revers le public, et à peine pense t’on comprendre enfin le pourquoi du comment de son film que l’on est mené vers une autre piste sans jamais s’attendre au surprenant twist final.

Di Caprio, dans un rôle enfin taillé à sa mesure, dévoile sa force d’interprétation. Il est loin le jeune Jack du Titanic, propet et qui parlait bien aux dames. Avec L’âge, le jeune acteur prend de l’envergure. À croire qu’il fallait lui donner un côté sale et perturbé pour mettre en valeur son talent. Même avec une cravate à palmier, Di Caprio joue le trouble de son personnage avec brio, on a plaisir à le suivre dans son enquête.
Depuis Les infiltrés, toujours réalisé par Scorsese, on peut penser que les deux hommes se sont trouvés. On savait déjà que le réalisateur américain était un fin limier pour dénicher les jeunes talents et les faire jouer à leur plus haut niveau. Encore une fois après de Niro et ses psychoses de Taxi Driver, il semble que Scorsese ait trouvé son nouveau double à l’écran.

Le film plonge dans une trame horrifique et on se prend au jeu. La force du duo réalisateur/acteur est de faire croire à cette histoire et de plonger le spectateur dans la fiction comme dans un brin de folie. Shutter Island est un film qu’il faut absolument voir et sûrement revoir pour en comprendre toutes les finesses et les pistes pour le dénouement final. Scorsese arrive encore à sonder l’âme humaine et ses subtilités dans ce film qui n’est là que pour nous remettre en question.


Shutter Island
de Martin Scorsese, sortie le 24 février 2010
avec Leonardo Di Caprio, Ben Kingsley



Regime sans sexe (La Reine des pommes)

Encore un film sur les trentenaires qui vient contaminer les écrans. Sur le papier, le film de Valérie Donzelli a des attraits dans la forme, moins dans la narration. Adèle (Valérie Donzelli), trentenaire, tente de faire face à une rupture. Le scénario tient du déjà-vu, ces cinq dernières années le cinéma français a eu son lot de ruptures et de conseils avisés sur la post-dépression. La Reine des pommes ne relève pas le niveau. La tante (Béatrice de Staël) prodigue des conseils en vigueur, ceux entendus partout, florilège d’idioties que, quiconque ayant vécu une rupture, a entendu un millier de fois (heureusement la fameuse phrase du « un de perdu dix de retrouvés» n’est pas présente ici). La grande idée du film revient toutefois à faire incarner par le même acteur (Jérémie Elkaïm) tous les rôles masculins, de l’ex, aux futurs ex. Il agit ainsi comme un fantôme modelé sur les corps des différentes rencontres de la jeune femme et sur ses propres doutes quant à ce que l’on appelle l’amour. Mais, les séquences se suivent et ont un goût de déjà vu, de niaiseries compilées les unes après les autres. On finit par découvrir que La Reine des pommes est en fait des patchworks de tous les films sur les trentenaires que l’on a déjà vu. Sans compter que les différents lieux de rencontres semblent tout droit sortis d’un manuel pour jeune fille tiré de la presse féminine qui orne les devantures de n’importe quel bureau de presse.

Le conte moderne difficile à mettre en place. On retrouve le méchant roi joué par l’ex, la gentille fée et ses superbes conseils jouée par la tante, mais surtout le jeune chevalier blanc tel le prince charmant de cendrillon qui n’arrivera que lors de la coda, quand la petite trentenaire sera devenue grande. Le passage à l’âge adulte pour la réalisatrice/actrice passe aussi par la mise en scène. Le film monté avec les moyens de Valérie Donzelli et une petite caméra numérique aurait peut-être mérité un plus grand travail de préparation. Le défaut principal du film reste surtout l’étalonnage ambiant, chacune des parties est différentes de celles qui la précède, ce manque d’uniformité trouble l’attention du spectateur et fait ressortir le côté cheap du film. Dommage que Valérie Donzelli fasse de La Reine des pommes une tarte lourde à digérer.


La Reine des pommes
de Valérie Donzelli, sortie le 24 février
avec Valerie Donzelli, Jérémie Elkaïm, Béatrice de Staël

Alice, dans le trou du lapin (Alice ou les desirs)

Encore un film français qui ne sait pas traiter du désir. Le nouveau projet du cinéaste Jean-Michel Hulin fait plus rire qu’il ne donne à réfléchir. Alice (Caroline Mercier), jeune professeur de mathématique, à qui la vie sourit, décide de quitter son petit ami (Axel Zeppegno) lors d’un repas familial chez sa cousine (Cécile Calvet). Le film ne reflète malheureusement que le pathétique d’un réalisateur sans grandes convictions et qui se sert de l’idée de sexualité pour ameuter une foule de jeunes boutonneux en mal de sexe. De ce travail ne ressort que des cadres à la moi je te pousse, un rythme qui permet de pisser entre les séquences et surtout un anti-désir. Hulin fait se succéder pendant près de deux heures des séquences de soi disant découvertes des corps et de la sexualité. Et pour lui, cela passe forcément par toutes les déviances qui trônent aujourd’hui sur le web, du voyeurisme au sado-masochisme en passant par la sodomie violente. Comme dans n’importe quel film porno, le montage d’Alice ou les désirs enchaine les expériences sexuelles, le cul et l’excitation en moins.

Le mauvais goût du cinéma français. Depuis le cinéma porno américain des années 80, il était rare de voir sur un écran un homme cracher dans sa main pour faire une sodomie. Ce que la vidéo pour adulte avait annihilé, Alice ou les désirs se le réapproprient dans son festival de clichés sur les femmes et le sexe. Cela fait bien longtemps que le cinéma qui scrute les désirs de notre époque ne fait plus bander et ici c’est une véritable castration chimique qui s’opère. Les trop longues séquences de découverte du sadisme ne mènent qu’à un fou rire général et à une forme de gène pour les acteurs et le réalisateur. On remarque même une sorte de « «beaufferie » dans la mise en scène et certains choix appliqués à la narration. On se souviendra de la promenade d’Alice en plein centre ville attachée par une laisse sur la chanson de Iggy Pop and the Stooges I wanna be your dog ; revival d’une époque où les paroles d’une chanson traduisent une action, comme dans les clips des années 90. Alice ou les désirs attache son spectateur, mais dans le mauvais sens du terme, c’est une relation sadique qui se met en place. Après avoir vu ce film, on se surprend à vouloir se faire battre pour l’oublier.

Hulin a sans doute oublié que les films fait avec trois francs six sous et ayant pour thème le désir ont déjà été exploités par un autre genre de cinéma et de meilleure façon. John B. Root cinéaste du porno fait-maison parvient plus à expliquer les envies de notre époque que ce film mièvre. Alice ou les désirs a au moins le mérite de faire rire sans le vouloir.


Alice ou les désirs
de Jean-Michel Hulin, sortie le 24 février
Caroline Mercier, Axel Zeppegno, Cécile Calvet

Entre chien et loup (Une Nouvelle ère glaciaire)

Une épopée qui laisse perplexe. Première fiction de la jeune réalisatrice Darielle Tillon, ce voyage entre Cherbourg et les contrées sauvages de la Bulgarie déçoit. Deux frères, David (Mélaine Lebreton) et Eric (Mickael Rebouilleau) finissent la saison dans un camping sur la côte normande. Ils se demandent ce qu’ils feront après et sans prévenir Eric disparaît. Désemparé son frère se lance alors dans une quête incessante de la fraternité qui le poussera à marcher jusqu’en Europe de l’Est. Ayant tout d’abord commencé par la vidéo d’art et l’art plastique, la réalisatrice alterne entre séquences d’abstractions et séquences narratives. Un homme marchant dans la neige ou encore des effets stroboscopiques sur la dernière soirée d’Eric qui le font disparaître puis réapparaître, prémices de sa fuite, répondent à de longue conversation sur la mondialisation et ce qu’est une frontière aujourd’hui. Le sujet qui semble préoccuper la réalisatrice est tout droit sorti d’un conte de fée pour enfants attardés, le dépassement des frontières, les nouvelles formes de communications entraînent l’humain vers sa forme la plus animale. C’est d’ailleurs sans grande subtilité que Tillon sort cet argument lors des retrouvailles des deux frangins dont l’un est transformé en « animal » après un accident de voiture, ses blessures au visage lui donnant l’apparence d’un chien.

Malheureusement, le film agit comme un pétard mouillé. Tous les effets de styles employés par la réalisatrice tombent à l’eau et emportent avec eux l’attention que l’on peut avoir pour l’intrigue. Au milieu du film, une étrange ellipse scinde la narration et les pays. D’une course à vélo de nuit en campagne normande, David se retrouve dans un lit au cœur de la Bulgarie. Cet aspect fantastique voulu par la narratrice apporte une sorte de malaise. Selon elle, dans le dossier de presse, le cinéma français ne sait pas mélanger les genres et reste cantonné dans ses propres schémas. On peut au moins le lui accorder. Mais ici la trop forte utilisation de formes (classique et abstraite) et de genres (réalisme et fantastique) fait penser à un patchwork d’idées cousues les unes sur les autres mais sans réelles représentations formelles. Une nouvelle ère glaciaire se veut comme la transformation animale de son personnage, c’est-à-dire une métamorphose, une mutation. Par là on entend celle du cinéma français vers un melting pot des genres et des styles. Cependant cette idée est peut-être trop grande pour un film qui s’arrête bien avant la fonte des glaces dans l’évolution cinématographique.

Une Nouvelle ère glaciaire
de Darielle Tillon, sortie le 24 février
Avec Mélaine Lebreton, Mickaël Rebouilleau

Conan Doyle sous Prozac (Sherlock Holmes)

On peut se demander si le cinéma avait réellement besoin de ressortir du caveau la fameuse icône anglaise et son célèbre flair pour les petites choses alors que le petit écran s’en sert déjà pour le moderniser. Aujourd’hui, les réalisateurs sont à la redécouverte d’œuvres du passé, d’archéologie des icônes lointaines afin de les remettre au goût du jour. C’est le cas pour Gainsbourg, et c’est aussi celui de Sherlock Holmes de l’Anglais Guy Ritchie. Le personnage de Sir Arthur Conan Doyle ré exploité sous différentes formes aura en 2010 un nouveau visage, celui de Monsieur Iron Man, Robert Downey Jr. (qui reprend encore ce rôle de façon lâchée et désinvolte). Déjà, les célèbres séries telles que Les experts Las Vegas (Le personnage de Grissom est parfait pour cet exemple), Mentalist (Un homme qui observe chaque élément d’un crime pour obtenir une résolution avant la police) et enfin Docteur House (docteur boiteux directement en référence avec Watson, le célèbre comparse de Holmes) tentait de remettre ce de personnage au goût du jour. Or ce que Ritchie tente de faire avec ce film, ce n’est pas la modernisation d’une œuvre mais donner une aura cool au détective du 221 Baker Street.

Élémentaire mon cher Watson, pour Ritchie, la reconquête d’une œuvre passe par sa destruction la plus total. Pour résumer le film, disons qu’Holmes s’embarque une nouvelle fois avec son comparse Watson (Jude Law) dans une aventure fantastique (mais que bien évidemment, la science parviendra à contrecarrer) contre Lord Blackwood, un notable anglais qui se fait passer pour un magicien maléfique et qui tente d’asservir le monde avec la première arme de destruction massive (une bombe chimique commandée par une télécommande). Dans sa dernière réplique Holmes parlera du monde moderne grâce au contrôle à distance que permet cet engin (si seulement on pouvait zapper pendant la projection de ce film, là ça serait moderne). Finalement, ce n’est plus une cool attitude que donne Ritchie à son personnage mais une tare. Toujours bourré, dormant à même le sol, les vêtements débraillés, bref une tenue de tocard qui remplace la classe que pouvait avoir le flegmatique détective à la loupe. Son comparse Watson n’est d’ailleurs pas en reste de dégradations. Il n’est plus la conscience ni le narrateur des aventures d’Holmes, mais un vulgaire bourrin assoiffé de baston et défonceur de porte. Même la relation entre les deux protagonistes est transformée. L’homosexualité ambiguë présente dans les romans se transforme en jalousie du détective pour la fiancée de son partenaire. La mise en scène de Ritchie ne permet pas non plus au film de se relever, son montage épileptique et ses zooms abusifs sur les éléments qu’il ne faut surtout pas laisser passer, font du protagoniste une sorte de moine Shaolin capable de prendre le dessus sur son adversaire en l’analysant.

On peut cependant constater l’intérêt de certaines séquences, notamment lors d’un repas au restaurant, Holmes qui attend Watson ne peut s’empêcher d’analyser la salle, ce qui le rend malade. Cette courte scène très vite mise de côté ne prend malheureusement pas plus d’ampleur dans le film qu’une vague dans l’océan. Ritchie essaie avec perte et fracas de faire renaître un mythe de la littérature anglaise, les explosions en plus, le raffinement british en moins.


Sherlock Holmes
de Guy Ritchie, sortie le 3 février
avec Robert Downey Jr, Jude Law