Interview Antoine de Baecque pour Deux de la vague

Comment vous est venue l’idée d’écrire ce scénario ?

Le projet est né d’une rencontre avec Emmanuel Laurent, un documentariste qui fait plutôt des films scientifiques. On s’est rencontré, il avait lu mon histoire des Cahiers du cinéma et la biographie de Truffaut et il m’a demandé si je voulais bien travailler avec lui. Pour avoir fait la biographie de Truffaut et celle de Godard, je connaissais leur rencontre, cette amitié, et aussi cette rupture, je souhaitais raconter autrement l’histoire, en construisant une sorte de narration, je dirai presque une sorte de « fiction ». Dans le documentaire proprement dit, il y a toute une construction et qui n’est pas du tout la même chose que d’écrire une grosse biographie. C’est un peu ça qui m’a motivé, de pouvoir travailler autrement, raconter autrement une histoire que je connaissais.

Comment vous êtes vous réparti le travail avec Emmanuel Laurent, le réalisateur. Lorsque l’on voit le film, on sent beaucoup votre patte par le travail avec les archives, ce que vous faites déjà beaucoup dans vos livres ?

Ce n’est pas faux, je pouvais amener cela au film, ma connaissance des documents, des archives de l’un et de l’autre. On sent aussi ma présence, au sens où c’est mon récit et c’est donné explicitement comme cela puisque c’est moi qui suis au début du film et que c’est ma voix qui raconte le film. Mais avec Emmanuel on s’est reparti le travail les extraits montés en parallèle, des films de Truffaut et de Godard. Et c’est très passionnant de voir comment ces films se répondent sur toute cette histoire d’amitié qui dure sur presque quinze ans. Emmanuel Laurent, la monteuse et moi, on a travaillé tous les trois ensembles pour choisir des extraits, les monter, donner une sorte de rythme au film.

Pourquoi avoir choisi Isild le Besco comme passeuse pour la nouvelle génération ?

J’ai un lien fort avec elle. Je l’ai découverte comme actrice et cinéaste, elle avait à peine 20 ans, et j’ai été conquis par sa présence, par son cinéma. Je trouve qu’elle a une volonté impérieuse de faire du cinéma et d’en faire avec les risques que cela comporte. Dans l’urgence. D’une certaine façon elle est une incarnation de ce qu’à pu être faire du cinéma pour un jeune homme de 25 ans en 1960. Quand Truffaut a commencé à tourner Les Mistons et Les 400 coups, quand Godard s’est mis à tourner ses courts métrages et A bout de souffle, ils étaient dans le même état d’esprit. Donc Isild le Besco incarne certainement quelque chose qui vient de là. Je pense qu’elle touche sa génération à elle. C’est pour cela qu’on lui a demandé de jouer ce rôle, de faire passer cette histoire.


On pourrait vous reprocher de faire un film sur une histoire connue. Pensez vous, comme beaucoup d’œuvres historiques, que la répétition de ce moment puisse amener une sorte de transmission à une nouvelle génération ?

Bien entendu il y a une sorte de transmission, mais d’une autre forme. Ce que l’on transmet dans un film comme cela, c’est une émotion qui passe par un récit. Et un récit d’amitié comme ça, je pense que le cinéma, un documentaire en tout cas, est le mieux placé pour le raconter. Pour moi, dans ce travail-là, il y a sûrement l’idée de transmettre autrement et peut-être non pas intensément, ni massivement, mais autrement une histoire que j’ai déjà racontée. C’est vrai que, le film pour ceux qui connaissent cette histoire, n’apprend rien en terme factuel. Simplement, je pense qu’il permet de faire histoire au sens de faire récit, de faire narration. Il permet aussi de faire passer une émotion. Et puis je trouve que ce qu’apporte aussi le documentaire par rapport aux livres, c’est une place presque mythologique. On est dans une histoire qu’on connaît et documentée largement, mais en même temps, là, tout d’un coup, dans le tremblement d’un noir et blanc, dans le montage entre un entretien et un extrait, dans un ralenti que l’on peut tout d’un coup faire passer, tout cela prend une forme quasi mythologique. Je pense que c’est quelque chose qui effectivement est un peu aux origines de désirs du cinéma que peuvent ressentir les générations depuis quelques temps et notamment aujourd’hui.


Peut-on considérer que la séparation Truffaut / Godard prévaut à la mort de la Nouvelle Vague ?

Le film commence avec le triomphe de la Nouvelle Vague et se finit dans la mort de celle-ci. C’est un film, je dirai, assez désespéré, c’est une construction mélancolique aussi. On va vers quelque chose qui est la fin d’une histoire, la fin d’un succès et la fin d’un genre. Je pense que le film essaie de montrer que le triomphe de la Nouvelle Vague est quelque chose de très éphémère et qui est remis en cause à plusieurs reprises. Très vite d’ailleurs, par une série d’échecs, des gens comme Rivette ou Rohmer ont du mal à passer au long-métrage. C’est aussi une amitié qui se construit dans cette adversité-là. Rapidement les films n’ont plus le succès qu’ils ont eu, les ennemis de la Nouvelle Vague se redressent et attaquent de façon très virulente. Le deuxième temps de cette amitié consacre aussi la fin de cette histoire où 15 ans plus tôt s’était rencontré dans une bande, celle des Cahiers du cinéma. Un groupe qui a éclaté assez vite au sens où les 5 principaux, dès le début des années 60 savent qu’ils ne font pas le même cinéma. La rupture de 73 consacre la fin de la Nouvelle Vague, c’est à la fois la fin d’une amitié et celle d’un mouvement. À partir de ce moment-là, chacun va travailler vraiment très seul dans son coin, cela ne les empêche pas de faire une œuvre, mais en même temps les films n’ont plus rien à voir.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de mettre en image vos écrits ?

Je suis essentiellement un homme de l’Histoire, du document, de l’archive, de l’écriture, et donc j’y trouvais un accomplissement. Dans un documentaire il y a deux choses importante pour moi :  il y a une fiction, presque une forme de fictionnisation de cette histoire qui devient une histoire d’amitié universelle et donc dans la construction de cette histoire du film même, il y a vraiment un travail de narration.  Et puis il y a sûrement une confrontation de ce que l’on pourrait appeler le fétichisme du mouvement presque un sentiment de puissance comme de réveiller les morts, de redonner mouvement aux fantômes. C’est quelque chose d’extrêmement émouvant, l’écriture du commentaire s’est fait concrètement à partir  d’un montage muet et en même temps sonore par les paroles des entretiens. À partir de là et de façon très précise, il fallait écrire un texte dans le tempo et dans les arrêts, les reprises s’immiscent, se fusionnent en quelque sorte avec l’image. Donc là il y a vraiment un moment où l’écriture est proche de l’image et ça c’est quelque chose qui était extrêmement important pour moi et inversement c’était une écriture qui était précisément libre par l’image, par le mouvement, par le rythme, j’étais face à un autre type d’écrit et c’est en cela que j’ai pris beaucoup de plaisir à faire Deux de la vague

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