Bienvenue l'indé (Welcome to the Rileys)

Jake Scott (fils de Ridley Scott) signe là une véritable perle du cinéma indépendant américain. Interprété avec brio par le parrain névrosé des Sopranos, James Gandolfini, Welcome to the Rileys est une comédie dramatique qui se joue des simulacres. Doug Riley (James Gandolfini), dépressif après la mort de sa fille, passe son temps entre sa maison, d’où sa femme (Melissa Leo) n’ose plus sortir, et ses déplacements professionnels. Lors de l’un d’eux, il fait la connaissance d’une jeune strip-teaseuse au langage corsé (Kristen Stewart), et s’attache à cette jeune personne. Une relation père-fille va se créer entre eux.
De prime abord, cette production des Frères Scott peut faire peur, mais c’est une véritable surprise qui s’offre dès les premières images. On aurait pu s’attendre à un film d’action, à l’instar des réalisations des autres membres de la famille, mais le jeune réalisateur a su prendre le contre-pied et réalise un film calme et emprunt de maturité. Pas d’effets outranciers, mais une caméra proche des corps, et une intensité dramatique sans tomber dans un effet « tire larmes ». Welcome to the Rileys met en scène la disparition d’un être cher huit, drame dont aucun membre de la famille n’a pu réellement se relever. L’arrivée d’un vilain petit canard, servant d’enfant de substitution, permet une forme de thérapie et de régénérescence de la cellule familiale.


C’est aussi une autre forme de régénérescence qu’offre le film, celle d’un acteur. Depuis la fin des Sopranos, James Gandolfini était très souvent cantonné à des seconds rôles. Rien ne semblait lui sourire après l’apogée qu’il a connu durant toute la longueur de cette série télévisée si emblématique. Welcome to the Rileys au contraire lui donne la chance de montrer une autre facette de ses talents de comédien. L’ensemble du film joue de la dualité entre le Tony-mafieux des Sopranos et le Doug-papa-gâteau. Mais ici le corps de Gandolfini est plus lourd, corpulent, et sa respiration omniprésente (un souffle au premier plan sonore qui finit par vampiriser tout l’espace) comme un acte de survie. Premier grand rôle sur grand écran pour Gandolfini et essai transformé par cet excellent acteur qui, maintenant on le sait, peut jouer autre chose qu’un mafieux sous prozac.

Jake Scott réussi avec ce film un pari ambitieux. Sa mise en scène, son approche des acteurs, son jeu pour les prendre à contre-pied fait de ce petit bijou indépendant un grand film porté par un excellent casting. Il est rare de voir un cinéaste américain réussir à filmer ses personnages sans surenchérir dans l’émotion avec vocabulaire technique trop prononcé. Cela traduit une vraie confiance dans chacun de ses représentants à l’image et une virtuosité dans le choix des cadres.
Pour beaucoup, le cinéma indépendant américain était mort et enterré. Sur les écrans, il n’était alors possible de voir que de pâles copies de films ayant fait les beaux jours du Festival de Sundance sans pour autant retrouver la hargne et la jeunesse des œuvres indépendantes US. On peut dire qu’avec Welcome to the Rileys, Jake Scott annonce une renaissance de ce cinéma avec l’espoir de revoir des films pour qui les idées et le style sont plus importants que les millions.

Welcome to the Rileys (sortie le 10 novembre 2010)
Un film de Jake Scott 
Avec Kristen Stewart, James Gandolfini, Melissa Leo,...

Simple détour (Le Dernier voyage de Tanya)

Sur l'idée simple d’un dernier voyage comme rite funéraire Aleksei Fedorchenko signe une oeuvre magnifique et inattendue.
Miron (Yuriy Tsurilo), aidé d’un ami, Aist (Igor Sergeyev), veut enterrer sa femme dans la tradition des Mérias, ancien peuple de la Russie ; brûler le corps et le rendre à l’eau fait partie de ces rites de passage entre la vie et le néant.

Par un dispositif simplissime, dans une voiture avec une conversation entre les deux amis à propos du couple et de la défunte, le cinéaste parvient à capter des instants de vie comme aucun autre réalisateur aujourd’hui. Avec des effets rudimentaires de panoramiques, on est invité à voyager avec les protagonistes entre passé et présent le tout mené par une voix-off à la Balzac, sortie d’outre-tombe, comme de l’hypnose.

Proche des meilleurs films de Kiarostami, Fedorchenko opte pour une sincérité de l'image comme l’on en a rarement vu. Le Dernier voyage de Tanya restera le plus beau film de cette fin d’année et une grande surprise


Le Dernier voyage de Tanya (sortie le 3 novembre 2010)
Réalisé par Aleksei Fedorchenko
Avec Igor Sergeyev, Yuriy Tsurilo

Sombres clichés (Des filles en noir)

Cliché du début à la fin, ce film ne donne pas seulement une mauvaise image de la jeunesse, c'est également un désastre cinématographique.
Jean-Paul Civeyrac tente avec Des filles en noir une certaine approche de la jeunesse. Pas celle en rose comme dans les séries américaines, non, celle aux habits noirs, aux idées noires, et aux tentatives de suicide. Ha, la jeunesse d’aujourd’hui ! Ses incompréhensions, ses attentes, ses envies, mais aussi son mal-être, le tout condensé en une fiction d'une heure trente filmée avec les pieds.

Noémie (Léa Tissier) et Priscilla (Elise Lhomeau) sont deux adolescentes gothiques mal dans leurs peaux et qui décident de se suicider. Civeyrac veut se plonger dans un microcosme mais ne parvient pas à franchir la porte de ce lieu. Il ne fait que succéder idées préconçues sur idées préconçues sans jamais obtenir une once de réalité. Même la forme de son film devient une insulte aux adolescents filmés tant la tâche semble lourde. Pas un plan n’est là pour rattraper l’autre et il n'y a aucune initiative technique qui relèverait les clichés débités.
Selon lui, tous les gothiques veulent se suicider et le plus souvent à cause d’une histoire de cœur (forcement!), et l’ami de la famille qui assiste au repas est logiquement un pervers alcoolisé qui va tenter de violer une des deux filles. 

En plus d'amalgames inopportuns Civeyrac surenchérit en effets de style inutiles, comme la montée d’un brouillard à la Fog pour mettre un petit quelque chose de fantastique dans le récit, ou encore Noémie en pleurs se tortillant sur un tapis le tout filmé en une plongée dramatique comme si le monde la regardait et la jugeait. Lourd !

Tout dans Des filles en noir sent le mauvais sens, ou plutôt la mauvaise blague du cinéma français.


Des filles en noir (sortie le 3 novembre)
Réalisé par Jean-Paul Civeyrac
avec Léa Tissier, Elise Lhomeau  

Petit Carles contre les "Grands" (Fin de concession)

Avant même sa sortie en salle, Fin de concession créait déjà le « buzz » (quel mot déplorable!). Des extraits diffusés sur la toile, ont été repris par certains journalistes qui, sans avoir vu le film, le critiquaient éhontément. Mais Pierre Carles semble rodé, les sujets qui dérangent sont sa passion.
Après s’être attaqué au monde du travail avec le prodigieux J’ai très mal au travail, Il revient aujourd'hui à ses premières amours, la critique des médias. Au début de sa carrière, chroniqueur virulent pour de nombreuses chaînes hertziennes françaises, ses attaques prenaient toujours en exemple les émissions de l’époque et mettaient bien souvent patrons de chaînes et présentateurs dans un grand embarras.

Pierre Carles a changé. Loin du petit chroniqueur aux chemises bariolées des années 90, il est devenu un grand documentariste qui n’hésite pas, depuis ses premiers films; à mettre des coups de pieds dans la fourmilière. Dans Fin de Concession, il s’attaque à un géant, TF1. Sorte de lutte entre David et Goliath puisque lui, armée de sa fronde et de sa petite équipe d’amis va tenter de mettre à terre le tout puissant. Le documentaire dénonce le renouvellement automatique de la concession hertzienne de la première chaîne détenu par Bouygues alors que celui-ci ne tient pas les promesses qui lui ont valu d'obtenir TF1. Avec sa très grande ironie et à coup d’images d’archives, le réalisateur montre comment, sous la tutelle d’un Bernard Tapie plus manager et manipulateur que jamais, et à de mensonges et de promesses à l’emporte pièce l’équipe Bouygues a réussi le plus grand hold-up du siècle.

Mais entre action et remise en question, Pierre Carles signe surtout un film Work in progress empreint de la peur de ne pas en faire assez, de vieillir, de ne plus être aussi cinglant. Au fil des interviews et des rencontres son animalité reprend le dessus face à des hauts dirigeants ou des journalistes de la chaîne. Mais pas seulement, puisque sa critique des médias le pousse aussi à s'interroger sur d'autres journalistes et notamment celui d'une chaine « publique » cette fois, David Pujadas. Dénoncé par de nombreux opposants pour son côté lèche-bottes et proche du pouvoir, le présentateur du journal de 20h de France 2 devient ainsi la nouvelle cible du réalisateur. Carles lui décernera d'ailleurs le prix du bouffon du roi avant de repeindre son scooter en doré le tout sous l’œil effaré de Pujadas.

Parfois tangent dans ses actions ou encore dans ses entretiens, Pierre Carles sait aussi se remettre en question. Et c'est toute la force du film. Moins un documentaire sur TF1, Fin de concession met en lumière la manière dont travaille le cinéaste, comment il obtient des entretiens, sous une fausse identité, avec culot. Une vraie bonne leçon pour les futurs documentaristes.

Fin de Concession (sortie le 27 octobre 2010)
Réalisé par Pierre Carles

Les pin-up au cinéma

Sexe et cinéma ont toujours fait bon ménage. C’est d’ailleurs lors de séances obscures que la plupart des cinéphiles découvraient leurs premiers émois pour le sexe opposé. Rien de tel que la nudité, la suggestion d'un décolleté, une tenue provocante, ou encore une jambe dépassant d’une robe fendue.

Les pin-up ont été une marque de fabrique des studios américains pour racoler (le terme et fort et je le sais) auprès d’un public masculin en demande. Le livre de Jullier et Boissonneau retrace, à partir de données et d’intuitions personnelles, un historique de ces femmes dans l’espace cinéphilique hollywoodien. Depuis les prémices de l’histoire du cinéma, les deux auteurs tentent de percer les milles et un secret qui ont fait de ces belles si particulières un rôle incontournable dans le cinéma.

Si l’on peut être d’accord avec nombre de leurs exemples, comme Jane Russel dans Le Banni ou encore Marilyn Monroe dans tous ses rôles. Il y a cependant un abus dans le vocabulaire. Pour les deux écrivains, il semblerait que toute femme ayant un rôle dans un film, et qui n’est pas celui de la femme forte, se trouve alors dans la position de la pin-up. C’est faire table rase d’une certaine histoire du cinéma qui a vu naître aussi les Vamps, les Bimbos et tant d'autres genre d'actrices sexy uniquement présentes pour servir le film.
Il ne faut pas oublier qu’avant toute chose, les pin-up étaient des filles sur papiers glacés (Gibson Girl) que l’on prenait en photo pour allécher les clients à l’entrée des bars. Jullier et Boissonneau rappellent tout de même que dans certains films comme les films de guerre, où les filles n’avaient pas de place, le réalisateur s’arrangeait toujours pour coller aux murs ces photos de pin-up découpées dans les magazines. Les soldats les arboraient alors comme des trophées qui leur rappelleraient le pays ou une carotte donnée aux troufions pour les envoyer se battre avec plus de courage. Exemple très concret dans les Douze Salopards de Robert Aldrich, où les personnages sont amenés en perm' dans un bar décoré de pin-up avant de partir en mission,.

Si le livre se voit comme une historiographie de la pin-up, il faut cependant le lire avec beaucoup de précautions quant aux intuitions lancées sur certains exemples (Pamela Anderson en rôle de pin-up plus que de bimbo). On peut aussi regretter le manque de recherche esthétique, il n’y a rien sur le plan de la forme, ni dans la façon de filmer la pin-up. Les pin-up au cinéma reste donc un livre à prendre avec beaucoup de recul.


Les pin-up au cinéma
Laurent Jullier, Mélanie Boissonneau, avec l’équipe de Monsieur Cinéma
Armand Colin
N° ISBN : 978-2-200-24856-7
15, 80 euros